samedi 30 septembre 2017, 09:56

Ben Youssef : "La Coupe du Monde, c’est une fois dans une vie"

Ce n’est peut-être plus qu’une question de jours et la Tunisie pourrait se qualifier pour la Coupe du Monde de la FIFA, Russie 2018™. Ce serait un retour après 12 ans d’absence pour les Aigles de Carthage, et la réalisation d’un rêve ainsi qu’une revanche personnelle pour Syam Ben Youssef.

En octobre 2013, les Tunisiens ont perdu leur barrage pour Brésil 2014 contre le Cameroun. Deux ans plus tard, ils sont aux portes de la qualification à deux journées du terme. Il faudra prendre quatre points en deux matches en Guinée et contre la Libye pour être sûr de valider le billet pour la Russie. Blessé, Ben Youssef ne participera pas au match en Guinée le 7 octobre prochain, mais il a tenu à faire le déplacement avec ses coéquipiers.

Deux ans après un premier entretien où il évoquait ses débuts en sélection et cette Coupe du Monde ratée difficile à avaler, FIFA.com parle à la même personne qu’en 2015, mais c’est un homme nouveau, heureux et épanoui qui répond à nos questions.

Syam, en 2015, vous nous disiez à quel point la non-qualification pour Brésil 2014 avait été difficile à digérer. Lors de votre dernier match en RD Congo (2:2), à un quart d’heure de la fin, vous étiez menés 2:0 presque éliminés. Avez-vous pensé que vous alliez rater une autre Coupe du Monde ? Sincèrement, c’était un match très difficile. D’abord par notre entame de match, et après le deuxième but, on prend un coup sur la tête pendant 10-15 minutes. Mais je sentais qu’on avait du sang frais, qu’on reprenait le fil du jeu, qu’on commençait à dominer et à se procurer quelques occasions. Et après notre premier but, on y a tous cru. Et même après l’égalisation, on a failli gagner.

Y a-t-il eu un déclic qui vous a permis de renverser la situation ? On a essayé de se parler, de se regarder, de se faire comprendre des choses. Et il y a eu une action collective qui a terminé par le but. Dans le football, le but le plus important, c’est souvent le troisième. De 2:0 à 3:0, le match est plié. De 2:0 à 2:1, il est relancé. Ce but du 2:1 nous fait revenir dans la partie, et après le deuxième est arrivé.

Lisez notre dossier : Ben Youssef : l'heure de la revanche et le jour de gloire

Vous êtes désormais en tête du groupe, avec quatre points à prendre en deux matches, contre la Guinée et la Libye, qui sont déjà éliminées. Le plus dur est-il fait et la Tunisie sera-t-elle à la Coupe du Monde si elle reste concentrée? On l’espère, j’aimerais bien avoir la même discussion dans dix jours avec le sourire. Mais en Afrique c’est toujours difficile et je ne pense pas que la Guinée va lâcher. Ils veulent gagner des matches,  avoir leur mot à dire et laisser une bonne image dans les qualifications. Mais nous nous devons d’avoir plus envie qu’eux, parce que nous jouons pour une qualification pour la Coupe du Monde. C’est tous les quatre ans, c’est une fois dans une vie, ou même jamais. On a cette chance d’avoir notre destin entre nos mais, on espère qu’on va y aller.

Il y a quatre ans, dans les qualifications pour Brésil 2014, vous étiez un jeune joueur qui débutait en sélection. Qu’avez-vous appris depuis ? Êtes-vous un joueur différent ? J’ai beaucoup plus de matches et deux Coupes d’Afrique derrière moi. Je connais le groupe par cœur. J’ai changé de statut, puisque la génération qui ��tait là en 2014 forme quasiment la même ossature. On a énormément progressé ensemble. Sur un plan personnel, on prend plus d’importance quand on joue les matches. Et j’essaie de davantage faire partie du groupe, de plus parler, d’accueillir les nouveaux. J’ai pris un peu plus de responsabilités.

A l’époque, Alaeddine Yahia nous avait confié que vous aviez tendance à trop chercher le beau geste, alors qu’un défenseur doit avant tout penser à éloigner le danger. Avez-vous mis de l’ordre dans votre jeu ? On a une équipe aujourd’hui qui joue bien au ballon, donc je laisse le beau geste à d’autres ! J’essaie simplement de jouer au pompier, de défendre, de faire mon travail, et de laisser les autres faire ce qu’ils ont à faire. Cette confiance les uns dans les autres, ça vient avec le temps. Je sais qu’eux peuvent faire la différence, donc pas besoin de vouloir trop en faire pour un défenseur. Mais l’entraîneur aime bien qu’on relance de derrière, donc ça me va parfaitement !

Votre sélection aussi a changé. Vous n’avez aucune vraie star, la plupart des joueurs jouent au pays, il n’y a presque que des joueurs de moins de 30 ans. Mais elle très solidaire et organisée. La star, c’est l’équipe. On essaie de travailler ensemble, même en dehors du terrain, on est toujours tous ensemble, on reste ensemble, on plaisante ensemble, il y a une joie de vivre. Sur le terrain, ça se ressent, tout le monde attaque et défend ensemble, et on essaie vraiment de travailler sur ça. Pour que qui que ce soit qui arrive dans l’équipe s’intègre à ce collectif et cette manière de penser.

Au vu des résultats, tout va bien, vous êtes à deux doigts de vous qualifier pour la Coupe du Monde. Mais la campagne de qualification a été difficile, avec un barrage accroché contre la Mauritanie et un changement de sélectionneur en milieu de parcours. Est-ce une campagne éprouvante ? Ça ne nous a pas perturbés, mais une campagne de qualification, c’est très très long… Les joueurs qui la débutent ne sont pas les mêmes que ceux qui la terminent. C’est sur quasiment deux ans, et il se passe plein de choses. Des blessures, des nouveaux joueurs, un changement d’entraîneur… Heureusement, Nabil Maaloul connaissait déjà l’équipe nationale et beaucoup de joueurs, donc ça a marché rapidement. Mais une campagne de qualification n’est jamais facile, et il peut arriver beaucoup de pépins.

Imaginons que la Tunisie se qualifie pour la Coupe du Monde. Serait-elle déjà prête pour faire bonne figure en Russie ? Clairement non. Il y a encore du travail, beaucoup de travail. Mais l’entraîneur nous le répète : d’abord on se qualifie, et après on parlera de ce qu’on veut faire et comment on veut le faire. On a des qualités pour faire bonne figure, mais il va falloir qu’on améliore beaucoup de choses. Il y a des joueurs qui sont en bonne forme dans les championnats européens, et si on arrive à progresser et à jouer à notre meilleur niveau, on peut avoir notre mot à dire, comme l’Algérie en 2014.

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Vous avez rejoint Kasimpasa, en Turquie, après deux années à Caen. Comment se passe votre début de saison ? Sincèrement, je me régale. Dommage qu’il y ait eu cette petite blessure, parce que je commençais à me sentir bien et enchaîner les matches. Le championnat turc a pris une grosse envergure cette année. Besiktas est premier de son groupe en Ligue des champions, les stades et les pelouses sont magnifiques, les supporters, on n’en parle même pas. C’est fou ! Les terrains d’entraînement, je n’ai jamais vu ça de ma vie. Notre complexe d’entraînement est, je pense, un des meilleurs d’Europe. Je suis épanoui, et je ne regrette pas du tout ce choix, et j’espère vraiment qu’on va faire une bonne saison.

Vous étiez en manque de temps de jeu à Caen. Est-ce la raison de votre départ ? J’avais quelques différends avec l’entraîneur pendant ces deux ans, donc ça aurait pu ne pas bien se finir. J’ai préféré leur dire de me laisser partir et me libérer de ma dernière année de contrat, parce que je voulais jouer. Et je voulais prendre du plaisir, j’étais venu pour ça en Ligue 1, mais je n’en ai pas pris. J’ai une vision du football où le plaisir sur le terrain est le plus important. Donc si je n’en prends pas, il faut que ça change…

Et en dehors du football, la vie à Istanbul vous plait-elle? Surtout, la nourriture ! Là, je me suis calmé, mais quand je suis arrivé, je voulais tout manger ! Et Istanbul est une très belle ville. Je la connaissais déjà un peu, mais je la redécouvre, c’est l’une des plus belles villes que j’ai visitées. En plus, nous sommes un peu en dehors, dans un nouveau quartier résidentiel. On n’est pas en plein centre-ville, on n’a que les bons côtés. C’est toujours vivant, mais on n’a pas les embouteillages. C’est parfait !

A 28 ans, quels objectifs vous reste-t-il à accomplir avant la fin de votre carrière ? Rejouer des Coupes Européennes. J’ai joué l’Europa League, et j’aimerais bien la jouer. Ou une Champions League. Et pourquoi pas aller attraper une Coupe d’Afrique ? Et évidemment, je rêve de disputer la Coupe du Monde, pour tous les Tunisiens, mes parents et mes frères. Représenter mon pays et ma famille en Coupe du Monde, ce serait fantastique. Quand on devient professionnel, ça peut devenir banal de se qualifier pour une Coupe du Monde. Mais pour un petit garçon de Marseille comme moi, qui jouait dans la rue dans son quartier, on ne s’imagine pas, qu’un jour on jouera peut-être une Coupe du Monde. La dernière fois que je suis allé à Marseille, je voyais les petits qui jouaient et je me disais que peut-être qu’un jour, ce sont eux qui en joueront une. Si je leur dis, ils vont me prendre pour un fou ! Mais c’est la réalité. Il y a un terrain où il y a une fresque peinte avec les visages de Zidane, Cantona et d’autres Marseillais, avec l’inscription : "Vous étiez ce que nous sommes, nous serons ce que vous êtes". C’est exactement ce que je vis.

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