lundi 28 janvier 2019, 14:27

Herdman : "Donner une nouvelle direction au Canada"

  • John Herdman est passé du banc féminin au banc masculin du Canada

  • Également directeur du football national, il remanie l'ensemble des effectifs

  • Il explique sa décision et évoque l'ascension d'Alphonso Davies

La nouvelle en a surpris beaucoup lorsque John Herdman a quitté la sélection féminine du Canada pour prendre les rênes de l'équipe masculine. Mais bien que dépourvu d'expérience en football masculin, l'Anglais affiche un palmarès impressionnant avec le Canada et la Nouvelle-Zélande. Outre deux médailles olympiques historiques remportées à la tête des Canucks, il a initié et supervisé dans les deux pays des changements structurels à l'échelle nationale qui ont été couronnés de succès.

Qu'il ait accepté l'échange a pourtant intrigué. Les Canadiennes se sont solidement ancrées dans l'élite internationale. Arrivées au cinquième rang de la hiérarchie mondiale sous la houlette de Herdman, elles compteront parmi les candidates au titre lors de la Coupe du Monde Féminine de la FIFA 2019™.

De leur côté, les Canadiens végétaient à la 94ème place du Classement Mondial FIFA/Coca-Cola quand il a pris les commandes. Absents de la Coupe du Monde de la FIFA™ depuis 1986, ils n'ont pas atteint le dernier stade des qualifications de la CONCACAF en plus de 20 ans.

Mais Herdman a l'épreuve mondiale 2026 en ligne de mire, et il pense avoir sous la main de jeunes talents prometteurs capables de décrocher une place à Qatar 2022. L'entraîneur de 43 ans, qui se considère comme "un bâtisseur, un formateur", a voulu s'atteler à la tâche de débloquer le potentiel inexploité du pays.

Les résultats se sont améliorés et les Canucks attaqueront les matches de la Ligue des Nations de la CONCACAF prévus le mois prochain, forts de cinq victoires en six sorties. Comme Herdman l'explique à FIFA.com, il conjugue les fonctions de sélectionneur avec celles de directeur du football national, un rôle qui place sous sa responsabilité l'ensemble des effectifs à partir des U-14.

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M. Herdman, comment expliquer votre décision de passer du banc féminin au banc masculin canadien, compte tenu du classement mondial respectif des deux sélections ? La décision a été difficile à prendre. Il se passait beaucoup de choses à ce moment-là. Je suscitais un certain intérêt à l'étranger et on me proposait des postes qui m'auraient éloigné du Canada. Par ailleurs, je dirigeais l'équipe féminine depuis sept ans. Elle avait beaucoup progressé et elle était en bonne posture. Mais quand on reste aussi longtemps en place, on finit par remettre en question sa motivation et son rôle.

Nous avons tous travaillé très dur. Nous avons décroché une médaille olympique en 2012, la première obtenue par le Canada dans un sport d'été depuis 1936. Nous avons rempli les stades lors de la Coupe du Monde 2015, puis gagné un nouveau bronze olympique pour devenir la première équipe en plus de 100 ans à ramener deux trophées consécutifs. Après cela, on aurait pu s'attendre à ce que le football bénéficie d'un bien meilleur soutien financier. Ce n'était pas le cas. Ce qui était clair, c'est que les joueuses avaient beau avoir conquis le cœur des Canadiens, nous n'arrivions toujours pas à générer suffisamment de revenus pour passer à l'étape supérieure. Et il était tout aussi clair que seule l'équipe masculine pourrait y parvenir.

Après sept ans passés au Canada, j'avais pu constater que la sélection masculine n'avait pas su exploiter son potentiel. Il suffisait peut-être d'un simple changement pour lui faire franchir un palier. Le comité m'a proposé de tirer profit du savoir-faire opérationnel acquis auprès des sections féminines, pour mettre en place un système plus symbiotique entre le football féminin et masculin. L'idée était ingénieuse. Ma famille voulait rester au Canada et j'étais tenté par le défi d'amener les Canucks à la Coupe du Monde 2022. Au final, la décision s'est imposée d'elle-même.

Outre votre réussite à la tête de la Nouvelle-Zélande et du Canada, vous avez mis en œuvre des changements structurels dans l'ensemble des effectifs féminins. La possibilité d'en faire autant chez les hommes fait-elle partie des attraits du poste ? Absolument. L'entraîneur précédent avait pour objectif de bâtir une infrastructure de joueurs d'élite pour l'aligner sur les équipes nationales masculines. Mais les choses n'avançaient pas assez vite, notamment dans la perspective de la Coupe du Monde à domicile à l'horizon 2026. On m'a demandé d'exploiter le savoir-faire organisationnel, ainsi que les relations régionales et la confiance acquises à travers l'équipe féminine. C'était logique et je suis habitué à porter cette double casquette. En Nouvelle-Zélande, j'étais sélectionneur et directeur technique pour l'ensemble du pays, du niveau local à l'élite. J'ai suivi le même chemin dans le football féminin et masculin au Canada. Je ne crois pas que beaucoup d'entraîneurs prennent en charge ces deux volets, mais je pense posséder les compétences requises. Et j'aime travailler ainsi. C'est comme être chef cuisinier, quand on a conçu sa cuisine, cultivé les ingrédients et élaboré le menu. Je ne me concentre pas sur le seul produit fini. Je supervise tout, ce qui, selon moi, a joué un rôle important dans mes succès précédents.

Un poste d'entraîneur "normal" aurait sans doute des horaires moins exigeants. Quel est votre volume de travail ? Je travaille 15 heures par jour depuis mes 22 ou 23 ans. J'ai toujours été une boule d'énergie et je m'entoure de personnes comme moi. Il y a beaucoup à faire. Il faut donner une toute nouvelle direction à ce pays, comme nous l'avons fait avec l'équipe féminine. Et oui, peut-être en ai-je aussi besoin. Juste avant d'accepter ce mandat, j'en étais arrivé au point où tout me paraissait presque trop facile et confortable.

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Vous avez toujours mis l'accent sur le côté émotionnel et mental de la gestion des joueuses. Avez-vous dû adapter vos techniques à l'équipe masculine ? J'ai apporté quelques modifications. Le développement de l'équipe et le cadre tactique ne changent pas. Je me souviens que lors de notre premier stage, les hommes ont observé l'organisation tactique de la sélection féminine. Je ne sais pas s'il existe une autre équipe nationale au monde qui en fasse autant. Mais les joueurs ont réagi très positivement, ce qui en dit long sur leur caractère. C'est sur le plan mental que j'ai adapté ma méthode. D'une manière générale, on peut se montrer un peu plus agressif et ferme avec les joueurs. J'ai aussi appris à restreindre la durée des réunions. On sent où placer les limites. Les joueuses ont tendance à passer plus de temps en réunion pour en apprendre davantage sur leur rôle individuel et sur l'équipe en général. Mais nous avons appliqué beaucoup de systèmes et les hommes en sont enchantés.

D'après vos joueurs, vous avez donné à l'équipe une identité qui lui manquait. Quelle est cette identité ? Nous traversons une phase de transition pour passer d'un style défensif et rugueux, à un jeu de domination et audacieux que nous déploierons même face à des adversaires de haut niveau. Le Canada alignera une formation fluide et prête à défendre, mais qui ne restera pas retranchée sur ses arrières. La mentalité évolue pour faire place à un football d'attaque. Grâce à des talents tels Alphonso Davies, Junior Hoilett, Scott Arfield, Jonathan David et Jonathan Osorio, nous disposons de joueurs à même de guider l'équipe dans ce sens. Je crois que les fans n'attendent que cela.

Davies a été transféré au Bayern Munich. Bien qu'il soit encore jeune, le voyez-vous comme un joueur capable de faire passer un cap à l'équipe ? Il nous a tous enthousiasmés. Le Canada n'a jamais eu d'élément de ce type par le passé et on espère tenir un joueur d'impact de classe mondiale. Alphonso a encore un long chemin à parcourir. Beaucoup de pépites de 18 ans au potentiel exceptionnel ne sont jamais parvenues à donner toute leur mesure. Mais il évolue dans un grand club qui lui permettra de terminer sa formation et lui ouvrira les portes d'une brillante carrière. Jouera-t-il toutes les semaines en Allemagne ? Nous pensons qu'il en a les moyens. On a vu avec la sélection galloise l'influence d'un joueur du calibre de Gareth Bale. Même chose pour Sigurdsson en Islande. On peut posséder une bonne équipe bien organisée, mais c'est ce type de joueurs qui permet d'avancer. Espérons qu'Alphonso continuera de progresser.