lundi 11 mai 2015, 08:35

Klinsmann : "Nous nous sommes fixé des objectifs très élevés"

Au micro de FIFA.com, Jürgen Klinsmann évoque le changement de mentalité qui s’opère actuellement dans le football aux Etats-Unis. Ancien champion du monde avec l’Allemagne, le sélectionneur américain revient sur les qualités nécessaires pour faire jeu égal avec les poids lourds du football mondial et la nécessité pour les Stars and Stripes de devenir une équipe de tournoi au cours des trois années à venir pour forcer les portes du dernier carré de Russie 2018.

Jürgen Klinsmann, en prenant les commandes de la sélection américaine en 2011, vous vous étiez engagé à mettre en place un nouveau style de jeu, plus actif et moins réactif. Avez-vous atteint votre objectif aujourd’hui ? Nous avons décidé de passer d’un jeu réactif à une stratégie plus agressive et active car c’est ce que font les meilleures équipes au monde actuellement. Pour progresser, il faut observer les formations de pointe et essayer de s’en approcher le plus possible.

Dans quels domaines cette transition est-elle sensible ? Nous ne sommes plus passifs. Nous tentons de faire jeu égal avec les grands pays de football. Sur le terrain, nous évoluons un cran plus haut. Nous n’hésitons plus à presser dans le camp adverse. Petit à petit, nous apprenons à relancer proprement de l’arrière. Tous ces éléments font partie d’un style plus dynamique. Mais nous sommes encore en phase d’apprentissage. Il faudra certainement des années pour arriver au bout de ce processus.

Durant la dernière Coupe du Monde de la FIFA™, vous avez affronté quelques adversaires de renom. Quel regard portez-vous sur votre succès face au Ghana et le nul face au Portugal ? Certains ont été surpris de nous voir prendre l’initiative. Dans ces rencontres, nous avons joué notre jeu. Nous sommes sortis d’un groupe extrêmement relevé, ce qui n’est pas un mince exploit. Malheureusement, nous avons un peu régressé face à l’Allemagne et à la Belgique. Nous sommes retombés dans nos vieux travers. Nous avons sans doute un peu trop respecté ces deux équipes.

Les changements dont vous parlez concernent-ils uniquement le terrain ? Non, il doit aussi y avoir une évolution au niveau des mentalités. Lorsque nous affrontons de grandes équipes, il faut que les joueurs croient en eux et qu’ils puissent se dire : "c’est possible." Ce changement de mentalité prend lui aussi des années. Nous ne sommes qu’à mi-chemin, mais c’est un projet enthousiasmant.

Vous faut-il d’autres joueurs pour mettre en place ce nouveau style de jeu ? Pas nécessairement. Tous les entraîneurs doivent faire avec l’effectif dont ils disposent. Tous les joueurs ont leurs forces et leurs faiblesses. Notre travail consiste à compenser ces faiblesses et à valoriser ces forces. La formation n’a pas vraiment d’importance. Ce qui compte, c’est la façon dont vous associez les individualités sur le terrain. Tout ça s’apprend. Nous devons enseigner aux joueurs à établir une connexion sur le terrain, du gardien de but aux défenseurs jusqu’aux attaquants. Des équipes comme l’Allemagne ou l’Espagne se déplacent en bloc. C’est la marque des grandes sélections. Lorsqu’elles défendent, elles forment une unité compacte et resserrée mais dès qu’elles passent à l’offensive, elles explosent littéralement. Ce sont les éléments que nous essayons de transmettre. Quel que soit le système choisi, les joueurs qui sont sur le terrain doivent absolument avoir assimilé ces notions.

Vous avez testé de nombreux joueurs. Certains des nouveaux internationaux viennent d’Europe, du Mexique, de NASL ou même d’universités. Que cherchez-vous exactement ? Nous nous devons de remporter de grandes compétitions, comme la Gold Cup. Si nous y parvenons, nous serons qualifiés pour la Coupe des Confédérations en 2017. Mais il y a aussi des périodes consacrées au développement. C’est justement le cas actuellement. Bien sûr, nous voulons remporter tous nos matches amicaux, mais ces affiches représentent aussi une bonne occasion de mettre en avant de nouveaux joueurs. Je veux savoir ce qu’ils valent et s’ils comprennent les exigences du niveau international. Nous avons des représentants en Europe, en Amérique du Sud et au Mexique. La seule façon de créer un lien entre eux, c’est de les lancer dans le grand bain.

La culture du football a-t-elle changé aux Etats-Unis depuis la Coupe du Monde ? L’édition brésilienne a été un accélérateur. Les gens se sont rendu compte que cette compétition pouvait être riche en spectacle et en émotions. Pour la première fois, il y a eu des retransmissions publiques dans tout le pays. Les bars étaient pleins à craquer de gens qui s’étaient évadés du travail pour suivre les matches. L’équipe nationale joue naturellement un rôle de locomotive ici. Elle suscite de grandes émotions. Nous nous appuyons là-dessus, nous essayons de trouver notre place mais j’ai le sentiment que cette place grandit de plus en plus vite.

Vous avez déclaré que vous visiez une place en demi-finale de Russie 2018. Est-ce un objectif réaliste ? Nous avons placé la barre très haut car nous voulons que les joueurs comprennent ce qu’il est nécessaire de faire pour accéder au dernier carré. L’an dernier au Brésil, nous avons laissé le Ghana et le Portugal derrière nous. Nous avons failli arracher le point du nul à l’Allemagne et nous aurions pu battre la Belgique. Ces nations sont des références. Mes joueurs savent désormais qu’ils peuvent battre de telles équipes si tout se passe bien le jour J. Maintenant, il faut leur faire comprendre ce que nous attendons d’eux une fois que les huitièmes de finale sont passés. Il faut réfléchir aux conditions à remplir pour gagner en quart de finale et s’inviter en demi-finale. Tout ça réclame avant tout de la régularité. Durant les trois ans et demi à venir, nous allons rappeler sans cesse aux joueurs que tout est possible. Ils peuvent le faire, mais ils doivent pour ça devenir une équipe de tournoi.

Quelle est la différence entre une équipe de tournoi et une bonne équipe ? Briller en préliminaires mais arriver en phase finale sans ambition, ça ne sert à rien. Il y a un monde entre les deux. L’Angleterre se qualifie pratiquement systématiquement pour la Coupe du Monde mais pour une raison ou pour une autre, elle souffre toujours au premier tour. Il faut progresser à chaque match afin de créer une courbe ascendante. Personne n’a envie de se retrouver en méforme à l’issue de la phase de groupes. Il y a énormément de choses à apprendre. C’est un défi technique, tactique et mental. Il faut être capable de montrer ce dont on est capable. Il ne faut pas se contenter de tout maîtriser pendant six semaines ; la compétition dure huit semaines. Nous avons entamé ce processus en prévision de Russie 2018. Nous allons expliquer aux supporters, aux médias et aux joueurs que nous nous sommes fixé des objectifs très élevés.

Joueur, vous avez remporté la Coupe du Monde 1990. Cette expérience vous est-elle utile aujourd’hui dans votre rôle de sélectionneur ? Toute expérience est bonne à prendre. Je peux dire aux joueurs de ne pas se soucier de certaines choses ou de ne pas s’inquiéter dans certaines circonstances. J’ai déjà vécu tout ça. Je ne me contente pas de leur parler des bonnes choses ; j’ai aussi connu des moments difficiles. J’ai perdu deux Coupes du Monde. J’ai donc une victoire pour deux revers. Je peux leur expliquer pourquoi j’ai échoué à certains moments dans des grandes compétitions. S’ils comprennent de quoi je parle, je sais qu’ils me font confiance. On peut leur détailler ce qui a marché et ce qui n’a pas marché en leur donnant des exemples. C’est utile. Il faut aussi garder à l’esprit que la marge entre les deux est souvent très, très mince.

Vos commentaires jugés négatifs sur la Major League Soccer vous ont valu quelques critiques. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?   Mes remarques ne se voulaient pas négatives. C’est ce qu’on a pu lire dans les médias mais ce n’était pas mon intention. J’ai dit que je voulais que nos joueurs évoluent au plus haut niveau possible… Beaucoup de gens ont cru y voir une critique implicite de notre championnat. Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. La MLS progresse à une vitesse phénoménale. C’est indéniable. Elle se rapproche de plus en plus des grands championnats européens. L’encadrement de l’équipe nationale suit cette évolution avec le plus grand intérêt. Je suis le premier supporter de la MLS. Regardez l’équipe que j’ai emmenée au Brésil : il y avait 11 ou 12 pensionnaires de MLS.

Mais voulez-vous toujours voir vos joueurs évoluer au plus haut niveau ? Ma responsabilité en tant que sélectionneur est d’encourager chaque joueur à se fixer les objectifs les plus élevés. Si un international américain jouait au Bayern Munich, au Real Madrid ou à Barcelone, je ne crois pas que les supporters ou les médias y trouveraient à redire. Un professionnel doit tout faire pour réaliser ses rêves.

Quelles sont les plus grandes qualités des joueurs américains ? Ils sont ouverts et ils ont faim. Ils veulent apprendre. Ce sont de vraies éponges ! Ils savent écouter…

N’avez-vous rien perdu de votre enthousiasme sur les bancs de touche ? L’entraîneur est là pour aider. Il doit donner une autre perspective aux joueurs. Depuis le bord du terrain, on ne sait pas ce qu’ils comprennent car ils sont soumis à un énorme stress sur la pelouse. Ils sont au cœur de l’action et tout va très vite autour d’eux. Souvent, le message se perd. Au final, c’est à eux qu’il revient de prendre les bonnes décisions pour jouer leur jeu.

Dans quels domaines les Américains peuvent-ils encore progresser ? Ils peuvent encore s’améliorer dans la lecture du jeu. Sur le plan tactique, ils doivent encore intégrer certains éléments, comme la défense haute et la transition rapide entre la défense et l’attaque et vice-versa. Ils doivent apprendre à rester connectés en permanence sur le terrain. Il reste aussi du travail à accomplir en termes de concentration. Il ne faut pas se disperser. Tout ça viendra avec l’expérience et la compétition. Plus les joueurs seront au contact de ces deux éléments, plus vite ils progresseront. Au fur et à mesure, ils vont gagner en régularité. Ils vont progresser dans tous ces secteurs, ce n’est qu’une question de temps. Nous allons combler notre retard. Le positif l’emporte largement sur le négatif. Le football a de beaux jours devant lui aux Etats-Unis.