dimanche 14 mars 2021, 16:06

De l'art du coup du foulard

  • Erik Lamela a inscrit un but d'un "coup de foulard" face à Arsenal ce 14 mars

  • Il est coutumier du fait puisqu'il en avait marqué un il y a sept ans en UEFA Europa League

  • FIFA.com met à l'honneur ce geste d'exception

Le football regorge de spécialistes : docteurs des coups de pied arrêtés, rois du jeu de tête, serial buteurs, stoppeurs de penalties… Dans un autre registre, certains gestes ponctuels, moins courants, sont devenus de véritables joyaux, des moments sublimes gravés à jamais dans la mémoire des supporters. Naturellement, les spécialistes de ces instants de grâce sont plus difficiles à dégoter.

Parmi ces gestes d’exception, le "coup du foulard". Nécessitant à la fois technique et rapidité, ce numéro est ainsi réalisé : le ballon est en mouvement et le joueur sur son mauvais pied ; plutôt que d’utiliser ce dernier, il s’en sert d’appui et passe son pied fort derrière pour frapper avec.

Ce coup avait notamment été mis à l’honneur au mois d’août 2011 par l’attaquant argentin Matías Urbano, qui avait inscrit deux superbes buts sur deux matches consécutifs, avec le club chilien de l’Unión San Felipe. Ce 14 mars, son compatriote Erik Lamela s'est également distingué par ce geste avec Tottenham, face à Arsenal, en Premier League... sept ans celui réalisé lors de la victoire des Spurs *face à Tripolis en UEFA Europa League (5-1).

"Je ne sais pas comment l'expliquer", avait-il reconnu en 2014. "C'est une décision prise en une fraction seconde. Je n'ai pas vraiment pensé à la situation. Je suis allé vers le ballon en cherchant à marquer et je suis ravi que ça ait fini au fond des filets."

Les vidéos de son exploit ont fait le tour de la toile. De quoi donner envie à FIFA.com de mettre à l'honneur cette Rabona ou "coup du foulard". Voici donc un bref historique de ce tour de passe-passe dont ont usé plusieurs générations de joueurs, de Diego Maradona à Thomas Müller.

Aux origines de la rabona

L’appellation rabona date de septembre 1948. Elle vient du titre d’un article consacré par un magazine argentin au but marqué par Ricardo Infante, attaquant d’Estudiantes de La Plata: "Un Infante que se hizo la rabona". En Argentine, hacerse la rabona équivaut à faire l'école buissonnière. Le titre allait donc comme un gant à ce jeune Infante, alors âgé de 24 ans, auteur d'un acte de rébellion en refusant de frapper avec son pied faible.

"Le ballon s'est glissé dans un angle, mais je n'aurais jamais cru que ça passerait", relatait Infante en 1998, 50 ans après son coup de folie. "Ce but n'a pas eu le retentissement qu'il méritait. La télévision n'existait pas et la presse écrite ne couvrait pas tous les matches", se plaignait alors le sixième meilleur buteur de l'histoire du championnat argentin.

Les regrets d'Infante trouvent peut-être leur explication en Italie, où Giovanni Roccotelli est considéré comme l'inventeur du geste sous une autre appellation et 30 ans plus tard... Roccotelli a atteint la notoriété en 1978, quand il a utilisé le coup du foulard pour donner une passe décisive à son coéquipier d'Ascoli Giacomo Tafuro, contre Modène. En 2007, il racontait : "À Bari, dans les années 1950, c'était un privilège d'avoir un ballon. Un jour, en jouant dans la rue, j'avais le ballon sur mon côté gauche. Ne me demandez pas pourquoi, mais j'ai préféré passer le pied droit derrière pour frapper. On a appelé ça une incrociata, ce qui signifie croiser, avec les jambes ou les bras".

Roccotelli assure que le grand Pelé l'avait même reconnu pour ce geste dans les années 1970. Au Brésil, pays qui a engendré de nombreux adeptes tels que Rivaldo, Jardel ou Robinho, on parle de chaleira (théière) ou de letra (lettre), sans que l'on connaisse la véritable origine de ces termes.

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Un défaut qui devient une qualité

Claudio Borghi fait partie des joueurs qui ont su faire du coup du foulard un geste efficace dans le jeu. Champion du monde avec l'Argentine en 1986, le sélectionneur du Chili fait partie des modèles d'Urbano. "Je ne le fais pas par fantaisie et ce n'est jamais prémédité, mais je m'y entraîne. On peut dire que les buts sont le fruit du travail", indique l'attaquant, qui est désormais sorti de l'anonymat.

Quant à Borghi, il n'a jamais caché les raisons qui l'ont poussé à recourir à la rabona. "Dans mon cas, c'est un défaut qui s'est transformé en qualité car je n'avais pas de pied gauche. Mais ce qui est beau, c'est que le ballon va où l'on veut, ça surprend. Comme toute action inattendue, elle pose des problèmes à l'adversaire", affirme el Bichi, qui a grandi en voyant Diego Maradona exécuter cette prouesse à Argentinos Juniors.

Certes, le Pibe de Oro ne mettait pas des buts de la sorte, mais des attaquants comme Ramón Díaz ou Careca, qui l'ont côtoyé en équipe nationale ou à Naples, ont pu apprécier la précision des centres ajustés par El Diez grâce à cette technique. Autre gaucher argentin, Ángel di María a démontré tout son savoir-faire dans l'exercice lors de son passage à Benfica, avec lequel il a même marqué un but frappé de ce sceau en UEFA Europa League. Dans son club actuel, le Real Madrid, il a déjà offert quelques caviars façon foulard. Toujours en Espagne, le Barcelonais David Villa est un utilisateur régulier de cette gourmandise technique.

L'un des experts en la matière est Ricardo Quaresma, qui fait appel au coup du foulard pour centrer depuis les deux couloirs. La Portugais a même créé une vidéo pratique. Vous pensez cette fantaisie réservée aux joueurs latins ? Thomas Müller est là pour corriger les préjugés. Il apparaît même dans une démo. Habitué à ce geste, l'Allemand conseille toutefois de ne pas l'utiliser pour chambrer l'adversaire. Histoire d'éviter les représailles…

Attention, risqué !

Il est évident qu'un coup du foulard bien exécuté peut laisser une trace indélébile. Le Brésilien Edú peut en témoigner : "En 1991, je jouais à l'América, au Mexique. Je m'y entraînais tout le temps, mais ça ne venait jamais. Jusqu'à ce que j'en réussisse un spectaculaire sur un centre décisif pour mon coéquipier Toninho lors du clásico contre Cruz Azul, devant 110 00 personnes. On m'en parle encore".

Le coup du foulard peut aussi avoir un retentissement énorme. En 2007, pour son premier match avec l'IFK Göteborg, en Suède, le Péruvien Andrés Vásquez a signé un but en pleine lucarne en exécutant ce geste depuis le coin droit de la surface adverse. Ce coup d'éclat lui a permis de se faire un nom dans son pays et lui a finalement ouvert les portes de l'équipe nationale. Son aventure peut être comparée à celle du Koweïtien Fahad Al Enezi, qui a conquis les dirigeants d'Al Ittihad, en Arabie Saoudite, en réalisant un coup du foulard face aux Fils du Désert.

Le coup du foulard peut aussi être feinté. Le mouvement est le même, mais au lieu de frapper le ballon, il s'agit de distraire l'adversaire pour enchaîner le dribble. Ronaldinho, Cristiano Ronaldo ou Matías Fernández utilisaient souvent ou utilisent toujours ce subterfuge.

Inutile de dire qu'il est fortement conseillé de réussir son coup du foulard faute de quoi, l'abonnement aux moqueries éternelles est garanti. Demandez donc à l'Australien Nick Carle, qui a terminé le postérieur sur la ligne de fond lors d'un match contre l'Uruguay, ou à l'Anglais David Dunn, qui s'est donné un joli croche-patte avec Birmingham en plein derby contre Aston Villa. Du pain bénit pour les bêtisiers sportifs de fin d'année !

La clé pour devenir un spécialiste du coup du foulard se situe sûrement dans la conclusion de Müller, sur sa vidéo de démonstration : "Entraîne-toi tous les jours et essaie de ne pas te briser le tibia en tentant le geste !"