jeudi 09 février 2017, 00:28

Cha : "J'ai accompli mes rêves"

****Dans les cours de récréation de Séoul à Busan, les jeunes Sud-Coréens rejouent inlassablement les grands moments de la spectaculaire percée de leur équipe nationale jusqu'en demi-finale de la Coupe du Monde de la FIFA 2002™. La volée de Park Jisung face au Portugal en phase de groupes et l'accolade de Guus Hiddink, le but en or d'Ahn Junghwan aux dépens de l'Italie et le penalty victorieux du capitaine Hong Myungbo contre l'Espagne d'Iker Casillas comptent parmi les instants gravés à jamais dans la mémoire collective du pays. Mais bien avant Park, Hong et Ahn, un joueur avait pavé le chemin menant à la scène mondiale : Cha Bumkun.

Pionnier à bien des égards, Cha a été le tout premier footballeur sud-coréen à intégrer un club européen. Recruté par Darmstadt en 1978, il a ensuite passé le plus clair de sa carrière à l'Eintracht Francfort et au Bayer Leverkusen. Issu des rangs des espoirs, il était tout indiqué pour occuper le poste de vice-président du Comité organisateur local de la Coupe du Monde U-20 de la FIFA, République de Corée 2017. Son talent, son humilité et sa discipline - il n'a reçu qu'un carton jaune au cours de sa carrière - constituent des exemples à suivre pour les jeunes professionnels.

À 100 jours de l'épreuve reine des moins de 20 ans, le Joueur asiatique du siècle répond en exclusivité aux questions de FIFA.com sur sa carrière et le tournoi à venir.

**Cha Bumkun, vous êtes devenu l'un des plus grands joueurs de l'histoire de la République de Corée après avoir fait vos classes en catégorie U-20. Quels souvenirs gardez-vous de vos premiers pas chez les espoirs ?* J'ai rejoint l'équipe nationale junior quand j'étais en seconde au lycée. Je n'étais qu'un gamin et je n'avais jamais pris l'avion avant d'être international espoir et de m'envoler pour le Japon pour disputer le Championnat U-19 de l'AFC 1971. Je n'ai pas de mots pour décrire ce que j'ai ressenti. Je rêvais depuis tout petit d'être un Guerrier Taeguk*. Tout était nouveau pour moi. C'était mon premier tournoi international et mon premier voyage en avion. Je me souviens encore de l'odeur très particulière de l'appartement réservé aux athlètes. Je n'avais jamais rien senti de tel jusque-là.

Dans quel état d'esprit étiez-vous ? C'est angoissant de découvrir de nouveaux endroits, alors j'étais à la fois enthousiaste et anxieux. Lors du premier match, je n'arrivais pas à me tenir droit tant mes jambes tremblaient et je ne voyais pratiquement rien. Je ne me rappelle pas avoir couru pendant 90 minutes. Je me suis détendu par la suite, mais je me suis cassé le nez dans la demi-finale contre le Japon et j'ai manqué la finale. Après le tournoi, j'ai réalisé que cette expérience avait élargi mon horizon, tout en me donnant confiance en moi et l'envie de relever un nouveau défi. J'ai compris que participer à de grandes compétitions m'aiderait à mûrir mon jeu.

Quels enseignements tirés de votre passage chez les espoirs vous ont servi tout au long de votre parcours ? Le premier est qu'il est très important d'acquérir du métier en se frottant à des équipes étrangères. J'ai aussi appris qu'on pouvait élever son niveau de jeu et prendre de l'assurance en affrontant des formations plus fortes. Après le championnat U-19, j'ai été confronté à des adversaires de haut niveau, plus coriaces et plus rapides. Tout ce que je réussissais aisément chez les jeunes est devenu plus compliqué en équipe A et je me suis senti grandir grâce à cette expérience. Je pense qu'il est capital pour les jeunes d'assimiler la pratique du football en se mesurant à des adversaires de qualité dans des tournois internationaux. C'est ainsi que je me suis perfectionné.

Qu'est-ce qui vous a poussé à intégrer la sélection senior alors que vous évoluiez chez les jeunes ? Ma famille était très pauvre, aussi mon rêve d'enfance était d'être un Guerrier Taeguk. Une fois international, j'ai voulu devenir un joueur de classe mondiale. Ces objectifs m'ont aidé à me motiver et à triompher des difficultés. Sans objectifs, rêves ou espoirs, on ne peut pas faire face aux exigences des entraînements. J'étais un peu différent des autres joueurs, parce que j'étais porté par un rêve : quand eux dormaient le matin, moi je me levais tôt pour courir et travailler mes points faibles. Je conseille donc aux jeunes joueurs d'avoir un rêve. J'ai réalisé les miens. Je rêvais de jouer en Bundesliga. Un jour, un entraîneur allemand m'a dit : "Tu peux y arriver. Pourquoi ne pas venir chez nous ?". Les rêves deviennent parfois réalité.

Vous étiez connu pour votre jeu de tête et votre rapidité balle au pied. Y a-t-il aujourd'hui des joueurs dont le style se rapproche du vôtre ? Son Heungmin brise les défenses adverses par des dribbles audacieux qui me rappellent mon jeu. L'attaquant Hwang Heechan me fait aussi penser à moi quand il perce les arrière-gardes, bien que son style de finition soit un peu différent du mien. Ce sont deux joueurs créateurs et finisseurs, capables de raids explosifs en solo à la Cristiano Ronaldo.

Qu'est-ce qui est le plus important pour les U-20 : progresser sur le plan individuel ou apprendre à travailler en équipe et dans différents systèmes de jeu ? Le football n'est pas un sport individuel. Il faut apprendre à bien jouer ensemble. Mais on doit affirmer sa personnalité au sein du groupe. L'équipe attend d'un joueur qu'il exprime son individualité, qu'il connaisse ses atouts. Le football sud-coréen, par exemple, repose sur la vitesse et une attitude agressive vis-à-vis des défenses adverses. C'est son style, c'est ce que les supporters veulent voir. De même, il est crucial de montrer d'emblée quel genre de joueur on est, afin que l'équipe puisse être organisée en conséquence.

Diriez-vous qu'on apprend autant des défaites que des victoires à ce niveau ? Je n'insisterai jamais assez sur l'importance de toujours chercher la victoire. Dans le même temps, les jeunes joueurs doivent apprendre à perdre, même s'ils ont donné le meilleur d'eux-mêmes. Avant d'aller en Allemagne, je n'avais jamais joué pour une équipe professionnelle et je ne connaissais pas le système de championnat. Je ne me souviens pas d'avoir été vaincu en Corée du Sud ou même en Asie. Aussi, la première fois que j'ai perdu un match en Allemagne, j'ai cru que le ciel me tombait sur la tête, alors que mes coéquipiers semblaient prendre la chose avec calme et se préparaient déjà au match suivant. J'ai vite réalisé que les défaites leur permettaient d'engranger de l'expérience et du savoir-faire. Elles aident à s'affirmer et à progresser. En somme, il faut toujours tout donner pour gagner, mais aussi savoir tirer les leçons d'un échec.