dimanche 28 août 2016, 11:45

Guttmann gagne tout et ne pardonne rien

A l'occasion de l'anniversaire de la disparition de Bela Guttmann le 28 août 1981, retour sur la carrière du légendaire entraîneur qui a laissé une marque indélébile sur le football mondial... et une malédiction à Benfica !

La chance joue un rôle en football. La malchance aussi. Et quand on perd huit finales européennes consécutives, comme le Benfica Lisbonne, on peut estimer que le sort s’acharne. Mais le destin est-il le seul responsable de cette série noire ? Tous les supporters du grand club portugais savent bien que non… Pour eux, c’est bien leur ancien entraîneur Bela Guttman qui est la raison de cette succession d’échecs, même si celui-ci est décédé depuis 1981 !

La "malédiction de Guttmann" s’est abattue sur les Encarnados en 1962, au soir de leur deuxième sacre consécutif en Coupe d’Europe des Clubs Champions. Incapable de s’entendre avec ses dirigeants sur le montant d’une prime pour cette victoire continentale, Guttmann quitte le club vexé, déclarant que tant qu’il ne serait pas payé, le Benfica ne gagnerait plus une seule Coupe d’Europe en 100 ans. La suite, ce sont donc cinq finales de C1 en 1963, 65, 68, 88, 90, une de Coupe de l’UEFA en 1983, et deux autres d’UEFA Europa League en 2013 et 2014, pour autant de désillusions.

La rancune de Guttman est tenace et même l’érection d’une statue à son effigie au Stade de la Luz et le pardon officiel du club en 1990 de la bouche de sa légende Eusebio, venu y déposer un bouquet de fleurs, n’y changeront rien. L’ancien entraîneur semble se montrer aussi intransigeant dans la mort qu’il l’a été durant toute sa carrière. "Un entraîneur est comme un dompteur de lions. Il domine les animaux aussi longtemps qu'il leur montre la confiance en soi et n'a pas peur. Mais lorsque le premier indice de la peur apparaît à ses yeux, il est perdu", répétait-il pour décrire son métier.

Le talent ne suffit pas

Voilà qui explique peut-être pourquoi les conflits ont été presque aussi nombreux que les succès dans la vie de Guttmann. Celle-ci débute en 1900 à Budapest, capitale de l’empire d’Autriche-Hongrie, où ce fils de professeurs de danse prend le même chemin dès ses 16 ans, avant de le quitter pour tenter sa chance dans le football. Le club amateur de Torekvas, puis le puissant MTK Budapest à partir de 1919, seront ses deux seules équipes dans son pays natal avant que, forcé par le régime antisémite hongrois des années 20, il ne rejoigne le Hakoah de Vienne, club de la communauté juive viennoise.

C’est pour les mêmes raisons politiques qu’il quitte l’Europe pour s’installer à New York, où sa carrière de joueur stagne, mais où sa vie s’agite entre la tenue d’un bar clandestin sous la Prohibition et le boursicotage avant le krach de 1929. Retour en Europe en 1932 pour une dernière saison au Hakoah de Vienne, avant d’y entamer sa reconversion sur les bancs de touche. Incapable de tenir en place, Guttmann va faire un tour du monde de 40 ans - de Vienne en 1933 à Porto en 1973 -, seulement interrompu par une parenthèse de sept ans pour échapper au sort qui attendait les juifs durant la Seconde Guerre Mondiale.

De l’Autriche à l’Argentine, en passant entre autres par le Brésil, Chypre, la Grèce, l’Italie ou l’Uruguay, Guttmann change 25 fois de banc et distille son savoir aussi bien dans des équipes modestes que dans les plus grands clubs, avec toujours la même philosophie : "Peu importe si on prend trois ou quatre buts, du moment qu’on en marque cinq ou six", agrémenté d’un "le talent ne suffit pas. Les joueurs doivent avoir la rage de vaincre à chaque fois qu'ils entrent sur le terrain."

Dans l’interminable liste d’anecdotes qu’il collectionnera dans son périple, citons son séjour au Maccabi Bucarest, où il se fera payer en… légumes, denrée rare dans l’après-guerre, et dont il claquera la porte en raison de la volonté des dirigeants de s’immiscer dans les compositions d’équipes. Car Guttmann n’est pas homme à accepter de voir son autorité remise en question. La preuve au Honvéd Budapest, où il dirige un certain Ferenc Puskás, et ses coéquipiers Sándor Kocsis, József Bozsik et Zoltán Czibor, qui deviendront les légendes des Magyars Magiques. La personnalité du futur Major Galopant est incompatible avec celle de son entraîneur, et les conflits s’enchaînent jusqu’au point de non-retour.

Contrat et coup bas

Lors un match contre Györ, Guttmann sort de ses gonds devant la prestation du défenseur Mihaly Patyi, à tel point qu’il lui interdit de revenir sur le terrain en deuxième période, préférant laisser son équipe à dix. Puskás conteste ce choix et ordonne à son partenaire de le rejoindre sur le terrain. Guttmann répondra à cet affront en quittant le stade… puis le club.

Encore une preuve de son tempérament ? Après qu’il a été viré de l’AC Milan en 1956 pour des problèmes relationnels, alors qu’il est en tête de la Serie A après 19 journées, il décide d’inclure systématiquement dans ses contrats une clause interdisant à ses dirigeants de le licencier si son équipe occupe la tête du championnat. Et que ce soit avec Honved, Milan, São Paulo, Peñarol, Porto ou Benfica, il prendra souvent ses aises dans le fauteuil de leader…

Son caractère et ses succès lui conférant quasiment les pleins pouvoirs partout, Guttmann se permet même de débuter son mandat à Benfica, lors de la saison 1959/60, en se séparant de 20 joueurs sous contrat pour donner leur chance à des jeunes du club. Résultat ? Un titre de champion en fin d’exercice. Autre coup d’éclat du Hongrois à Lisbonne, en décembre 1960, il prend de vitesse le Sporting Portugal en s’attachant les services d’un jeune buteur découvert au Mozambique et sur le point de s’engager chez le rival local, en le faisant entrer au Portugal sous une fausse identité et en le maintenant cloîtré plusieurs jours dans un hôtel jusqu’à la signature du contrat.

Son nom ? Eusebio, qui remportera les Coupes d’Europe de 1961 et 1962. Les dernières de Benfica jusqu’à présent et peut-être jusqu’en 2062. Disparu le 28 août 1981, Bela Guttmann n’est toujours pas du genre à changer d’avis…