mercredi 20 mai 2020, 07:00

L'immortel Lolo Fernandez

À l'occasion de l'anniversaire de la naissance de Teodoro "Lolo" Fernandez, FIFA.com revient sur le parcours du plus grand joueur de l'histoire d'Universitario, et mythe de la sélection péruvienne, disparu en 2011.

Don Tomas Fernandez jeta un regard noir à son fils de 12 ans. Bravant les injonctions de son père, celui-ci était tout de même allé jouer au football sur le terrain de fortune cahoteux derrière l'église locale, rendant ses chaussures totalement inutilisables pour aller à la messe ou à l'école.

Dans le Pérou des années 1920 marqué par une grande misère, où le salaire dérisoire de Tomas lui permettait à peine de subvenir aux besoins des dix membres de sa famille, on imagine bien le désarroi du chef de famille devant la perspective d'acheter une nouvelle paire de chaussures à son jeune fils. La simple recommandation tourna alors à l'interdiction formelle : la pratique du football fut proscrite au jeune Teodoro.

Mais la passion du jeune garçon était trop forte. "Au début, je partais jouer en cachette pieds nus", se rappelait Teodoro. "On jouait à même le sol et j'avais souvent des coupures ou des blessures aux pieds, mais je souffrais en silence car je ne voulais pas que mes parents m'empêchent de jouer au football." C'est pourtant ce qu'ils firent de nouveau, blâmant cette frappe du pied droit déjà si puissante. Un jour, Teodoro décocha un tir si tonitruant qu'il fit tomber l'un des murs de l'église !

"Ma mère pleurait, elle était furieuse. J'essayais de lui expliquer que je voulais devenir footballeur comme mes frères aînés, mais elle me conjurait d'abandonner cette idée. Elle me disait que même si j'y arrivais, je ne parviendrais pas à en vivre."

L'aide du destin et du frère

En 1930, à l'âge de 16 ans, Teodoro est envoyé à Lima pour étudier. Mais il ne se penchera jamais sérieusement sur ses livres de classe. Pas le temps. Car avant même qu'il puisse l'envisager, un coup de pouce du destin allait ouvrir le chapitre d'une carrière digne d'un conte de fées.

En ce mois de février, Arturo Fernandez, défenseur du modeste club de Ciclista Lima, était alors en pleines négociations avec Universitario, club en vogue qui venait de remporter le championnat du Pérou. Comme beaucoup de joueurs en instance de transfert, le jeune Arturo avait une condition à faire valoir. Mais cette fois, pas pour revoir son salaire à la hausse, ni réclamer un poste précis : ce que souhaitait Arturo, c'était plutôt qu'on mette son petit frère à l'essai. C'est ainsi qu'a débuté la longue et heureuse idylle entre Teodoro Fernandez et le Club Universitario de Deportes.

L'attaquant, mieux connu sous le nom de Lolo, est l'unique buteur de la partie lors de son baptême du feu en novembre 1931. Lors des 22 saisons qui s'ensuivent, il tourne à près d'un but par match et rafle sept titres de meilleur buteur du championnat péruvien. Il raccroche les crampons en 1953, à l'issue d'un match contre Alianza Lima, le grand rival pour qui il fut un véritable cauchemar. Naturellement, Fernandez, alors âgé de 40 ans, tire sa révérence en signant un coup du chapeau parachevant une victoire 4-2. Il demeure à ce jour le meilleur buteur du Clásico de los Clásicos avec 29 réalisations. La U décrocha également six titres nationaux grâce au rendement époustouflant de son artilleur, surnommé à juste titre El Cañonero.

"C'est difficile d'imaginer qu'il ait pu exister un meilleur joueur que lui à l'époque", confie Luis Ferreira, ancien camarade de Fernandez à La U. "Lolo était inarrêtable : c'était un merveilleux passeur, avec un courage sans faille, il était excellent de la tête et possédait la frappe la plus puissante du moment. Il tirait tellement fort qu'il lui arrivait de déchirer les filets ! La U ne connaîtra jamais de meilleur joueur que lui."

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L'immortalité plutôt que l'argent

Personne ne songea réellement à déloger Fernandez de son piédestal de meilleur footballeur péruvien de l'histoire jusqu'à l'explosion de Teofilo Cubillas en 1966. Fernandez marqua six buts en deux matches avant que la Rojiblanca ne quitte - non sans polémique - le Tournoi de Football Olympique en 1936. Il fut l'une des figures de proue de l'équipe deux ans plus tard lors du triomphe aux Jeux Bolivariens et termina meilleur artificier de la Copa América 1939, lors de laquelle le Pérou renversa l'Uruguay en finale. Ce fut le seul titre continental conquis par les Andins avec celui de 1975.

En raison de la Deuxième Guerre mondiale, et suite à la décision de la Fédération péruvienne de se retirer des qualifications pour les éditions mondialistes 1934, 1938, 1950 et 1954, Fernandez n'eut jamais la possibilité de disputer une Coupe du Monde de la FIFA™. Il a tout de même pu donner un aperçu de son immense classe au public international à l'occasion de la tournée de la sélection Pérou-Chili en Europe de septembre 1933 à mars 1934, récoltant une moisson de 48 buts en 39 matches face à des adversaires tels que le FC Barcelone, le Bayern Munich ou le Celtic Glasgow.

De telles performances ne manquèrent pas de susciter de lucratives propositions de la part du RC Paris, de Peñarol, du Racing Club ou de San Lorenzo. Toutes furent déclinées. Colo-Colo tendit même un chèque en blanc à Fernandez, mais il ne lui vint pas même à l'idée d'y inscrire un nombre et de quitter son club bien aimé.

"Lolo n'avait rien à faire de l'argent", explique Placido Galindo, ancien partenaire et ex-président du club. "Il aimait simplement jouer au football et porter le maillot d'Universitario. Il faisait partie des plus grands mais il a toujours su rester simple et agréable. Ailleurs, il aurait pu gagner une fortune, mais à La U, il a obtenu l'immortalité."

Si l'ombre de Fernandez planera éternellement dans la galerie des trophées de La U, le joueur s'est éteint le 17 septembre 1996 à Lima, plongeant la ville dans le deuil. Une reconnaissance émouvante pour celui qui, 70 ans plus tôt, dut se soustraire à l'autorisation de ses parents pour connaître une carrière exceptionnelle.