mercredi 23 septembre 2020, 07:03

Paolo Rossi : "Un rêve qui devient réalité"

À l'occasion de l'anniversaire de Paolo Rossi le 23 septembre, retrouvez l'interview qu'il nous avait accordée il y a quelques années pour évoquer les raisons pour lesquelles les attaquants ne devraient pas être égoïstes, le grand coup réalisé par l'Italie contre le Brésil, et la sensation de soulever le trophée.

  • ​Les critiques entendues lors d'Espagne 1982

  • *L'esprit de camaraderie des hommes d'Enzo Bearzot

  • Les attaquants ne devraient pas être égoïstes selon Rossi

Paolo Rossi n'avait pas marqué pour l'Italie depuis près de 15 heures avant d'entamer la Coupe du Monde de la FIFA à Espagne 1982. Le sélectionneur Enzo Bearzot a pourtant décidé d'ignorer de la pression médiatique pour faire confiance au buteur. "Pablito" l'a remercié en devenant le meilleur buteur de la compétition et en emmenant les siens jusqu'à la victoire finale.

La légende italienne est revenue au micro de FIFA.com sur ses limites en tant que joueur, la pression médiatique, la confiance de son entraîneur, l'esprit de camaraderie des siens et sur la sensation de soulever le trophée.

Paolo, que signifie pour vous la Coupe du Monde de la FIFA ?

La Coupe du Monde est pour moi synonyme d'apogée de la carrière d'un joueur, c'est véritablement le but ultime. Ma première Coupe du Monde, en 1978, m'a apporté la gloire, la popularité et le succès. J'avais 22 ans. L'Italie n'a pas remporté le tournoi mais mes prestations m'avaient valu des critiques particulièrement élogieuses. C'est là que ma carrière a vraiment décollé. Ensuite, quatre ans plus tard, nous avons eu la chance de pouvoir gagner.

Vous avez eu des moments difficiles entre ces deux Coupes du Monde de la FIFA. La confiance qu'Enzo Bearzot vous démontrait a-t-elle fait la différence en 1982 ?

La confiance de Bearzot a été fondamentale. Sans lui, je n'aurais sans doute pas été meilleur buteur de la Coupe du Monde 1982 (avec 6 buts) et la présente interview n'aurait probablement pas lieu ! Lorsque j'ai recommencé à jouer après deux années d'absence, cela a été très, très dur. Cela dit, toute l'ambiance était importante, ainsi que le soutien de mes coéquipiers.

Même sans avoir inscrit un seul but après les quatre premières rencontres ?

Tout à fait. Même si je n'avais pas encore marqué, je savais qu'ils avaient toujours confiance en moi. Pour un joueur, c'est primordial. Si vous sentez que vos équipiers et le staff technique n'ont plus confiance en vos capacités, il devient difficile de bien jouer. C'est leur attitude positive vis-à-vis de moi qui a permis ce qui s'est produit ensuite.

Étiez-vous sensible alors aux échos de la presse ?

Pas vraiment, non, je dois dire que je ne m'en suis jamais soucié. J'ai toujours eu de bonnes relations avec les médias, tout en faisant mon travail. Après tout, si vous jouez mal, il est normal qu'ils vous critiquent. Mais des jugements injustes peuvent aussi vous pousser à vous surpasser et à mieux jouer. Cela fait partie du métier de sportif.

Et soudainement, vous inscrivez trois buts face au Brésil. Qu'est-ce qui avait changé ?

Soudain, tout était devenu si facile. D'une seconde à l'autre, je réussissais tout ce qui ne fonctionnait pas jusque-là. Un but peut tout bouleverser, c'est là toute la beauté du sport... Celui-ci a changé toute ma vie, en me rendant la confiance dans tous les sens du terme. C'est un moment de ma carrière que je ne peux tout simplement pas oublier.

N'était-ce qu'une question de confiance ?

Oui, c'était une question de confiance. Une pression énorme reposait sur mes épaules parce que tout le monde attendait beaucoup de moi. Tant que je ne répondais pas à cette attente, c'est comme si j'étais dans les limbes. Un but, lorsqu'il survient, est comme une manne providentielle pour un attaquant. Cela vous donne un second souffle

Vos coéquipiers vous ont-ils traité différemment après la rencontre face au Brésil ?

Non. Ils ont simplement dit : "Enfin un but, il était temps !" Dans le camp, l'ambiance était géniale. L'entraîneur avait construit une équipe soudée, composée de joueurs extraordinaires, talentueux, habitués à la victoire car ayant déjà remporté cinq ou six championnats et titres internationaux. Tout cela était important. J'avais tellement de chance d'en faire partie.

Quel souvenir reste-t-il le plus précisément marqué en vous : vos buts ou le coup de sifflet final ?

Je garderai toujours en mémoire la multitude de drapeaux italiens agités partout dans les tribunes après le coup de sifflet final. Bien entendu, je me souviens des buts, de tous ces grands moments... Mais lever les yeux et voir ce stade tout simplement couvert de drapeaux italiens a été un moment extraordinaire, de ceux que je n'oublierai jamais. Je ne suis pas nationaliste, mais cet instant-là m'a vraiment donné la sensation d'appartenir à un groupe, une nation. Tous ces sentiments jaillissent.

Bearzot avait-il prédit l'issue de la finale ?

Non, je ne crois pas. Un entraîneur peut faire des prévisions mais en général le match se déroulera différemment de ce qu'il avait imaginé ! La victoire face au Brésil était importante car elle a enveloppé l'équipe d'une sorte d'aura. A un point tel que les rencontres suivantes semblaient n'être que des formalités, alors que c'était loin d'être le cas. Le match face à la Pologne nous a paru facile en comparaison, comme celui contre l'Allemagne. Nous nous sentions invincibles, intouchables.

Qu'avez-vous ressenti lorsque vous avez reçu le trophée de la Coupe du Monde de la FIFA ?

C'était une joie indescriptible. Pour quelqu'un qui a joué au football toute sa vie, c'est comme un rêve qui devient réalité. Mais vous ne vous en rendez pas compte tout de suite, car vous êtes toujours dans le match et dans le tournoi. Avec le temps qui passe, vous comprenez que vous avez réalisé quelque chose d'exceptionnel et, plus important, que vous avez rendu beaucoup de gens heureux. Ceci vous emplit d'un sentiment de joie très intense.

Ne dit-on pas que les buteurs doivent être foncièrement égoïstes pour être bons ?

Le football est un jeu d'équipe : un buteur n'est rien sans ses coéquipiers. C'est d'autant plus vrai pour moi, qui ne jouais pas perso. J'étais le joueur qui finissait l'action dans les quelques derniers mètres... Mais j'avais besoin de quelqu'un pour m'alimenter en ballons. Si j'étais le mieux placé, je concluais seul, mais si mon coéquipier était en meilleure position que moi, je passais toujours le ballon. Je n'étais pas égoïste. Je n'ai jamais fait passer un but inscrit avant la victoire de l'équipe.

Le lendemain, vous êtes rentrés à Rome avec le Président Pertini...

Je me souviens de l'accueil incroyable que nous avons reçu. De l'aéroport de Rome-Ciampino au Palais du Quirinal, où nous avons dîné avec le Président, une marée humaine sans fin nous acclamait dans les rues. Cela s'apparentait à la liesse indescriptible de la fin de la seconde guerre mondiale. Ce sont des moments historiques. Chacun se rappelle où il était et ce qu'il était en train de faire à ce moment précis. Des moments de bonheur si intense sont rares dans une vie.

Comment expliquez-vous la fascination générale pour le football ?

Comment pourrait-on expliquer le football ? On me dit souvent : "le football est partout, c'est le roi des sports". Les gens adorent le football, tout simplement, parce que c'est un jeu où le dernier du classement peut battre le premier, où l'on peut inscrire quatre buts en quatre minutes et réussir l'impensable. Quels autres sports génèrent autant d'excitation ? Ils sont rares. J'apprécie d'autres sports, mais ce que représente le football est tout simplement incroyable.

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