lundi 15 juin 2020, 17:54

15 juin 1975 : Pelé entre dans le Cosmos

  • Pelé a fait ses débuts pour New York Cosmos il y a 45 ans ce lundi

  • Le Brésilien a popularisé le soccer aux États-Unis

  • Pelé est devenu la plus célèbre personnalité de la Grosse Pomme

"C'était plus facile d'aller sur la lune que d'entrer au Studio 54", plaisantait le romancier américain Truman Capote.

Pour être autorisé à y pousser les portes, il fallait être l'élite. Et selon le copropriétaire de l'ancienne célèbre discothèque new-yorkaise, Steve Rubell, une personne, une seule, était un "vrai VIP parmi les VIP".

Il ne s'agit pas Cher, Salvador Dali, Michael Jackson, Mick Jagger, Elton John, Tom Jones, Calvin Klein, Liza Minnelli, Olivia Newton-John, Al Pacino, Diana Ross, Sylvester Stallone, Rod Stewart, Elizabeth Taylor, Tina Turner, John Travolta, Andy Warhol, Stevie Wonder ou d'autres méga-stars qui fréquentaient la plus célèbre boîte de nuit de l'histoire. Mais plutôt un homme qui avait grandi sans pouvoir se payer de chaussures ou un costume, et encore moins les blazers sur mesure qu'il arborait l'année où Saturday Night Fever a explosé sur les écrans.

"Tout le monde sans exception voulait lui serrer la main et se prendre en photo avec", se souvient Jagger. "Dire que vous aviez fait la fête avec Pelé, c'était avoir gagné ses lettres de noblesse."

C'est assez surréel de voir comment un footballeur a été propulsé parmi les plus grandes vedettes dans un pays où son art n'était que secondaires quelques années plus tôt. Depuis le milieu du XIXème siècle, le 'soccer' avait largement été relégué au rang de sport de seconde zone, loin derrière le baseball.

"Les Européens et les Sud-Américains raffolent de ce sport", écrit Prescott Sullivan dans le San Francisco Examiner en 1968. "Pourvu que ça n'arrive pas ici." Un autre journaliste d'ajouter : "Le soccer est un sport joué par les communistes."

Phil Woosnam, commissaire de la NASL, qui a évolué aux côtés de John Charles avec le Pays de Galles, et Clive Toye, un ancien journaliste anglais et directeur général du New York Cosmos, savent que seul un être suprême peut mener à bien leur projet rêvé.

Pelé est leur homme. En 1970, le Brésilien est non seulement élu sportif le plus célèbre de la planète, mais aussi personnalité la plus célèbre, devant John Lennon, le pape Paul VI, Paul McCartney, Mohamed Ali, Paul Newman, la reine Elizabeth II, Neil Armstrong, Elvis Presley, Clint Eastwood, Elizabeth Taylor, John Wayne et Barbra Streisand.

Pelé est-il seulement humain ? Selon un sondage réalisé quelques années plus tard, la marque 'Pelé' est la deuxième marque mondiale. Cet homme de 1m73 a pris plus d'ampleur que les plus grandes multinationales pétrolières, banques, constructeurs automobiles, compagnies aériennes et géants de la télécommunication. Tous, sauf Coca-Cola.

Impossible dans ce cas-là de séduire Pelé : le Brésil l'a déclaré trésor national inexportable et quand il a vent de l'intérêt du Cosmos pour lui en 1971, il le dit lui-même : "dites-leur qu'ils sont fous".

Mais Toye ne l'entend pas de cette oreille. Tel un agent du FBI, il part à la poursuite du Brésilien. Quand Pelé joue un match de gala, Toye est présent, que ce soit à Kingston en Jamaïque ou à Bruxelles, en Belgique. Il arrange des réunions à São Paulo, à Rome et à New York.

Toye parvient finalement à obtenir de Pelé une promesse écrite sur un bout de papier dans une chambre de motel. Un appel téléphonique d'Henry Kissinger, conseiller à la sécurité nationale américaine et grand fan de soccer, au 'Roi' et l'affaire est dans la poche.

Le journal Rochester Times-Union croit au départ à un coup marketing : "Il y a autant de chance que Moshe Dayan prenne les commandes d'un MiG pour l'armée de l'air égyptienne."

Pourtant, le 9 juin 1975, au Princess Hotel d'Hamilton, aux Bermudes, Pelé est présenté comme joueur du New York Cosmos. "Le transfert du siècle" selon le journal anglais The Guardian. Il est prévu qu'il fasse ses premiers pas sous ses nouvelles couleurs six jours plus tard, dans un match amical contre Dallas Tornado à Randall's Island, à Manhattan.

CBS diffuse la rencontre partout aux États-Unis et dans 22 autres pays. Des journalistes de 25 nations arrivent à l'aéroport de JFK pour couvrir l'événement.

Robert Redford demande à interrompre le tournage du film Les Hommes du président pour faire partie des 22 500 personnes dans les tribunes. "Environ 50 000 personnes ont été refoulées", se souvient l'entraîneur du Cosmos, Gordon Bradley. Un millier de personnes se regroupent sur le pont Triborough Bridge pour apercevoir l'immortel.

Les joueurs du Cosmos sont alors présentés un à un aux spectateurs, à leur sortie du tunnel. Le public acclame chacun, mais à l'annonce de Pelé et à la vue du Roi en personne, le bruit dans le Randall’s Island Stadium en devient assourdissant. L'homme, sourire jusqu'aux oreilles, semble très ému par ce remarquable accueil, lui qui connaît pourtant ça après avoir été adulé par les supporters de Santos et du Brésil.

Si, à chaque touche de balle, Pelé provoque l'hystérie, le Cosmos est mené 2-0 à la pause. Le prodige de 34 ans croit même avoir attrapé une maladie virulente. Au final, si ses chevilles sont verdâtres, c'est parce qu'elles sont couvertes de peinture utilisée pour cacher la pelouse décrépite aux caméras de télé. Au retour des vestiaires, Pelé touche le poteau, est impliqué dans le premier but de son équipe et marque le but égalisateur.

"C'était un match de gala, mais c'était comme si les Yankees disputaient les World Series ou si les Giants jouaient le Super Bowl", déclare Steve Ross, président de Warner Communications qui n'a jamais entendu parler de Pelé avant 1971, mais qui a partiellement financé son transfert. "On m'avait dit que Pelé était plus grand que le pape. J'ai vu que c'était vrai."

"Le soccer est né aux États-Unis ce jour-là", ajoute Toye. "La presse ne pouvait plus s'arrêter d'en parler. Tout le monde ne parlait que de ça."

Franz Beckenbauer, Carlos Alberto et Giorgio Chinaglia arrivent après Pelé dans la Grosse Pomme. Le Cosmos devient alors 'l'équipe la plus glamour au monde' et décroche le Soccer Bowl en 1977. Mohamed Ali, Peter Frampton, Mick Jagger, Elton John, Diane Keaton, Henry Kissinger, Robert Redford, Rod Stewart et Barbra Streisand garnissent les tribunes.

À New York, personne n'avait été aussi célèbre que le roi Pelé.

Sans cela, il aurait en effet été impossible pour lui d'avoir été le VIP des VIP au Studio 54.