mercredi 23 septembre 2020, 06:34

23 septembre 1953 : La Flèche Blonde à la Maison Blanche

Le 23 septembre 1953, Alfredo Di Stéfano, accompagné de sa famille, posait le pied à la gare de Madrid Atocha. Il était directement conduit jusqu’au siège du club, où le buteur argentin a paraphé son contrat et mis un terme à l’un des plus longs feuilletons de l’histoire du football. Flash-back.

Le Real Madrid a dû prendre son mal en patience en 1952 avant de pouvoir s’acheter son nouveau "jouet". Fabriqué en Argentine, perfectionné en Colombie, l’objet des convoitises madrilènes s’appelait alors Alfredo Di Stéfano. Le président de l’époque, Santiago Bernabeu, avait parlé de la Saeta Rubia (la "Flèche Blonde") comme d’un "jouet que le Real Madrid doit avoir pour Noël".

Le natif de Buenos Aires, qui avait également du sang italien, français et irlandais dans les veines, n’était pourtant pas sous le sapin cet hiver-là et rien n’était encore fait lorsque la saison 1953/54 a démarré. Persévérant, le géant espagnol est finalement parvenu à faire signer Di Stéfano, titré deux fois en Argentine avec River Plate et trois fois en Colombie avec les Millonarios.

Tout a commencé par une fraiche soirée de mars 1952, à Madrid. En tournée mondiale, les Millonarios enchaînaient les succès, mais leur étape au Nuevo Estadio Chamartin - devenu plus tard le stade Santiago Bernabeu - était censée faire descendre les Colombiens de leur petit nuage.

Évidemment, rien ne s'est passé comme prévu. À la surprise générale, les visiteurs l’ont emporté 4-2, grâce à un doublé et une passe décisive de Di Stéfano. "Il nous a fait passer pour des plots", avait reconnu Miguel Munoz. Le milieu de terrain espagnol, aligné ce soir-là avec les autres stars du Real, Jose Maria Zarraga, Luis Molowny et Pahino, a salué plus tard la performance "extraordinaire" de Di Stéfano : "Il était partout, en défense, au milieu, devant. Il courait pour trois ! Quand il avait le ballon, c’était impossible de le lui prendre. Il n’y avait plus qu’à attendre qu’il fasse une passe".

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Joueur fabuleux, transfert nébuleux

Les dirigeants du Real sont tout de suite tombés sous le charme. Ils n’étaient pas les seuls. Le responsable du recrutement du FC Barcelone, Pepe Samitier, était également dans les tribunes. Il n’a pas manqué une miette du récital de Di Stéfano. Un long de bras de fer s’est alors engagé entre les deux rivaux espagnols pour faire signer la pépite sud-américaine. Pour compliquer encore les choses, les contours de son contrat étaient nébuleux, River Plate et Millonarios, où il était apparemment prêté, réclamant tous les deux l’indemnité de transfert.

Alors qu’un club avait entamé les négociations avec les Colombiens, l’autre en faisait de même avec les Argentins. Les insultes pleuvaient. Les rumeurs enflaient. À la fin de l’année, Barcelone semblait enfin avoir porté un coup décisif. La presse catalane affirmait que le Barça avait remporté la mise, avec pour preuve une photo de la Flèche Blonde portant le maillot blaugrana. Touché, le genou à terre, le Real est néanmoins parvenu à se relever. Le combat pouvait continuer.

En septembre 1953, 18 mois après le début des hostilités entre le Real et Barcelone, la Fédération espagnole de football (RFEF) est venue mettre son grain de sel dans l’affaire. Elle a proposé un compromis : l’ancien international argentin et colombien pourrait évoluer successivement dans les deux clubs sur une période de quatre ans. Dépité, le Barça s’est retiré de la course. Le Real, lui, a immédiatement fait venir Di Stéfano en train depuis Barcelone, où il avait passé les trois mois précédents avec sa famille.

Le 23 septembre 1953, aux alentours de 10h30, Alfredo et Sara Di Stéfano, accompagnés de leurs filles Nanette et Silvana, posaient le pied à la gare de Madrid Atocha. Ils étaient directement conduits jusqu’au siège du club, où le buteur argentin a paraphé son contrat et mis un terme à l’un des plus longs feuilletons de l’histoire du football.

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Saeta Rubia, Camiseta Blanca et Manita

Sa femme et ses enfants ont ensuite été raccompagnés dans un hôtel de la capitale espagnole. Le joueur était prié de son côté de rejoindre immédiatement le terrain d’entraînement, où une paire de chaussures l’attendait pour sa première séance sous les yeux de son nouvel entraîneur, Enrique Fernandez. Alors qu’il prenait sa collation, Di Stéfano, 26 ans à l’époque, a dû remettre à plus tard ses projets de sieste.

"On m’a dit que j’allais jouer contre l’équipe française de Nancy dans l’après-midi", a-t-il raconté plus tard. "Je n’étais pas vraiment prêt pour ça. J’étais fatigué et je n’avais joué que trois matches amicaux pendant les trois mois où j’avais attendu à Barcelone. J’ai marqué, mais on a perdu 4-2." Le vainqueur de la Copa America 1947 a inscrit de nombreux autres buts avec la camiseta blanca sur les épaules. Avec son nouveau numéro 10, le Real n’a pas souvent connu la défaite.

Un mois plus tard, Barcelone a pu se rendre compte de plus près de l’opportunité qui venait de lui échapper. Di Stéfano a étalé sa classe habituelle, sa conduite de balle inimitable, ses passes tranchantes et son habilité devant le but pour offrir au Real une victoire sans appel (5-0) sur son grand rival. Ce succès reste à ce jour l’un des plus larges jamais enregistrés par les Merengue_s dans un _Clásico. Le plus grand triomphe du Real sur son ennemi barcelonais s’est pourtant joué en coulisses cette année-là.

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