lundi 21 novembre 2016, 14:20

Batistuta : "Le sens du but ne peut pas se transmettre"

Gabriel Batistuta, meilleur artilleur étranger de l’histoire de la Serie A italienne avec 242 buts inscrits entre 1991 et 2003, s’est entretenu avec FIFA.com dans sa ville natale, Reconquista. A l'occasion de son anniversaire ce 1er février, retrouvez cette interview.

Parmi la longue liste des joueurs de l’histoire, ils sont peu nombreux à être automatiquement associés au but. L’Argentin Gabriel Batistuta fait partie de ce cercle fermé, avec ses 348 réalisations marqués au fil de ses 17 années de carrière, entre Newell’s Old Boys, River Plate, Boca Juniors, la Fiorentina, l'AS Rome, l’Inter Milan et Al-Arabi. Et la sélection argentine, bien sûr. Avec 56 unités, dont 10 lors de ses trois participations à la Coupe du Monde de la FIFA, il aura été le meilleur buteur de l'Albiceleste jusqu’à ce que Lionel Messi lui succède.

Avec Marco van Basten et Marta, Batistuta a formé le panel des légendes invitées à présélectionner les 10 buts candidats au Prix Puskás de la FIFA 2016, remis dans le cadre de la cérémonie The Best FIFA Football Awards™. De ces dix bijoux sortira le vainqueur, qui sera choisi par le public dans le cadre d’un vote lancé très prochainement.

Batigol, meilleur artilleur étranger de l’histoire de la Serie A italienne avec 242 buts inscrits entre 1991 et 2003, s’est entretenu avec FIFA.com dans sa ville natale, Reconquista, à quelque 800 km de la capitale, Buenos Aires, pour évoquer le prix Puskás, la cérémonie de The Best et les ingrédients qu’il faut réunir pour entrer dans la légende des buteurs.

Gabriel, qu’est-ce que cela vous fait de prendre part à ce panel aux côtés de légendes comme Van Basten et Marta ? C’est une grande joie. Je les ai toujours admirés. J’ai joué contre Marco, mais pas contre Marta, bien entendu (rires). Je les admire et j’ai suivi toute leur carrière avec beaucoup d’attention. C’est un plaisir de me retrouver aujourd’hui à leurs côtés pour ce genre de choses. Cela situe aussi mon parcours.

Une présélection effectuée par des spécialistes joue-t-elle sur le prestige du prix Puskás de la FIFA ? J’ai vu les buts et je savais ce qui allait se passer avant même que le joueur ne frappe. Notre passé de joueur fait que nous avons un autre regard et que nous comprenons le contexte, deux choses qui échappent forcément à ceux qui n’ont jamais joué. On arrive à percevoir la part de mérite et la part de chance. Je pense que ça rend le prix plus crédible.

Quels ont été vos critères dans le choix de ces 10 buts proposés au public ? Je me suis d’abord focalisé sur l’intention et après j’ai regardé l’adversaire. C’est difficile de tenter une feinte de frappe en finale de Coupe du Monde quand il reste 10 minutes à jouer, alors qu’on peut facilement placer un petit pont contre la lanterne rouge à la 94ème minute d’un match sans enjeu. Ce sont deux beaux gestes, certes, mais le contexte a son importance. Parfois on ose en faire plus, parfois non, soit parce qu’on n’y arrive pas, soit parce que l’adversaire ne nous laisse pas faire. Toutes ces choses-là, il faut avoir joué pour bien les comprendre.

Et que pensez-vous de la décision d’impliquer les fans dans le choix du meilleur joueur et du meilleur entraîneur de football masculin et féminin ? Sans les fans, le football ne serait pas devenu ce qu’il est, donc il faut leur donner la parole. On demande souvent au public d’aller au stade, de respecter certaines règles… Donc c’est une bonne idée de lui permettre de participer, même s’il ne faut pas s’attendre à ce qu’il soit impartial. Ce sont quand même des fans ! Mais ça aussi, ça joue son rôle. Je pense que l’implication sera très forte et puis ça donnera plus de valeur au prix. Je pense que les joueurs aiment ça.

Quels sont les favoris pour les prix The Best 2016 ? Pour l’entraîneur, je pense à Diego Simeone et Pep Guardiola. Ils enchaînent les succès et ont une démarche cohérente. Leur philosophie est opposée, mais j’aime les voir défendre et imposer leurs idées, parce que tous deux ont obtenu de sacrés résultats.

Et pour le prix du meilleur joueur de la FIFA ? Il s’agit d’une récompense annuelle, donc il y a une contradiction. En général, le joueur est associé au parcours de son équipe et il est certain que Messi n’a pas gagné grand-chose cette année, mais il a été quand même le meilleur du monde. Moi je lui donnerais volontiers, c’est indiscutablement le meilleur. Cristiano Ronaldo n’est pas loin, mais ce n’est pas Messi. C’est un sacré athlète, il a un mental hors norme que tous les sportifs devraient essayer de copier, mais Messi est beaucoup plus décisif que lui. Ronaldo est un immense buteur, mais… Messi aussi ! Et en plus il fait jouer autour de lui.

L’importance des buteurs dans l’équipe a-t-elle changé par rapport à votre époque ? Non, pas vraiment. Ce sont toujours eux qui font basculer les matches. Une équipe qui a un bon buteur s’est assurée la moitié du résultat, parce qu’il peut gagner le match à tout moment. C’est plus facile de former un gardien ou un défenseur qu’un buteur. Un défenseur central, on peut lui apprendre à bien bouger, à coller à son adversaire… On peut lui inculquer 98 % des choses qu’il doit savoir faire. L’attaquant, on peut lui transmettre plein de choses, mais pas le sens du but. C’est à lui de le sentir. Et c’est ça que les clubs paient.

Il y a aussi l’instinct. Cela peut-il se travailler ? On peut dire à un attaquant d’aller au second poteau quand le défenseur est au premier ou bien qu’il emmène le défenseur au second avant de repiquer vers le premier au déclenchement du centre. Soit, mais il faut savoir faire ça tout à un moment précis. Il y a un timing qui ne se transmet pas. On l’a ou on ne l’a pas.

Qui est votre buteur préféré aujourd’hui ? Luis Suárez. Il a une grande intelligence de jeu. Il ne lâche jamais rien, il se bat sur tous les ballons, il presse tout le temps, il travaille énormément pour les autres. Et en plus il marque des buts. Et quand il ne les marque pas, il désorganise la défense adverse. Il y a des buteurs qui jouent quand ils marquent des buts et puis il y en a d’autres qui sont décisifs même quand ils ne marquent pas, parce qu’ils déstabilisent la défense. Suárez fait partie de ces derniers. Moi j’étais un peu comme ça aussi. Et j’aime aussi Gonzalo Higuaín.

Dans les très grands matches opposant deux grands buteurs, qu’est-ce qui fait que le tir de l’un heurte le poteau alors que l’autre trouve le fond des filets ? On parle parfois de chance, de réussite. Est-ce réducteur ? Je ne suis pas scientifique, mais la réponse est pour moi dans la tête. Il faut du mental, de l’intelligence, de la motricité ; il faut réunir tout ça. Ce n’est pas possible que les mêmes joueurs aient toujours de la chance. Ce n’est plus de la chance. En revanche, quand on rate des choses deux ou trois fois d’affilée, on peut commencer à se poser des questions. On commence à trop analyser les choses et, quand on a l’occasion de marquer, on voit défiler deux millions de pensées négatives.

Il faut donc être capable de jouer à l’instinct… Voilà. Les mauvaises séries des buteurs se terminent généralement sur un corner, un rebond, une action où on n’a pas le temps de réfléchir. Pim, but, on passe à autre chose. À partir de là, le cercle redevient vertueux. L’aspect mental est très important. J’aimerais écrire un livre sur ça. On ne peut pas éviter d’avoir des pensées négatives, mais il existe des mécanismes qui permettent de multiplier les pensées positives et de limiter les négatives. Moi, à 18 ans, je trainais dans mon village, mais je me suis astreint à un processus d’apprentissage mental. Dans ces moments-là, la tête est beaucoup plus importante que le corps. De fait, le corps n’est rien sans la tête.