vendredi 11 décembre 2020, 08:52

Vasseur : "On a toujours la foi et la faim de conquêtes"

Le plus difficile n’est pas d’arriver au somment mais de s’y maintenir. C’est la philosophie de l’Olympique lyonnais depuis de longues années, et Jean-Luc Vasseur en avait pleinement conscience lorsqu’il a été nommé en 2019 entraîneur d’une équipe qui gagne tout. Et tout le temps. De quoi entamer son mandat avec une sacrée pression, surtout pour sa première expérience dans le football féminin.

Au micro de FIFA.com, il évoque cette pression, sa première saison à la tête de l'OL, sa nomination au titre the Best - Entraîneur de l'année pour le football féminin, ainsi que ses idées pour développer le football féminin.

M. Vasseur, avec cette nomination de meilleur entraîneur de l’année, le titre de champion de France, et la Ligue des champions féminine de l’UEFA, votre première année d’entraîneur dans le football féminin est-elle au-delà de vos espérances ?

Tout d’abord, c’est un titre individuel, mais c’est le titre de toute une équipe, et d’un staff, technique, médical. Cette distinction individuelle doit être aussi partagée avec le travail de tous mes collaborateurs. Découvrir ce milieu sans eux, ça aurait été très difficile… Ils m’ont apporté énormément, certains étaient déjà là depuis un moment, j’ai récupéré Camille Abily comme adjointe, et forcément, ça me donne énormément supplémentaires pour accélérer mon intégration. De plus, j’ai des joueuses exceptionnelles, à l’écoute, assez réactives sur les demandes et surtout, très appliquées dans ce qu’elles font. Elles arrivent à avoir une plasticité tactique, et une qualité extraordinaire, pour toujours à perdurer au niveau des résultats, puisque l’objectif est de garder le niveau d’excellence.

Le plus dur n’est pas d’arriver au sommet, mais d’y rester. Lyon vous a recruté pour cela et vous y êtes arrivé. La mission a-t-elle été plus difficile que vous l’imaginiez ?

Bien sûr, parce que les équipes s’organisent, nous avons des joueuses et des stars qui vieillissent, donc il faut penser au renouvellement. Et on avait Lucy Bronze qui était une joueuse extraordinaire pour nous, et extraordinaire pour le football en géneral, qui a décidé d’aller sur un autre challenge. Donc il fallait trouver d’autres arguments. On est obligés de se renouveler, d’innover. Sur le Final Eight et la fin de saison, on a eu l’absence de deux grandes joueuses qui se sont blessées, Ada Hegerberg et Griedge Mbock Bathy. Si vous transposez ces éléments dans n’importe quel effectif, hommes ou femmes, c’est très compliqué de garder le niveau d’exigence, de résultat, d’efficacité et de performance. Mais j’ai pu m’appuyer sur un staff et un effectif de qualité pour y parvenir.

Vous êtes entré dans le monde du football féminin il y a à peine un an, et vous voilà déjà champion de France, champion d’Europe, et nominé pour être meilleur entraîneur de l’année. N’avez-vous pas peur d’avoir trop vite fait le tour ?

Non. Le succès, Lyon le connaissait avant. Je suis venu pour le faire perdurer. Et j’ai des moyens extraordinaires en termes d’installations, d’organisation, de logistique, un staff constitué de plusieurs éléments de qualité comme dans un staff professionnels hommes. Il y a des moyens à la hauteur des exigences et des objectifs.

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L’OL est un projet où tout fonctionne parfaitement depuis longtemps. Logiquement, il n’y a pas grand-chose à changer. Qu’est-ce que vous avez apporté ou voulez encore apporter ?

Chaque année il faut se réinventer et essayer de garder de l’avance. On a fait des retouches. Dans l’évolution du foot féminin, on a de plus en plus affaire à des blocs bas. Nous avions de la verticalité avant que j’arrive, puisque nos adversaires étaient plutôt ouverts. Aujourd’hui, elles sont très regroupées derrière, donc il y a peu d’espaces. Donc il faut réinventer un jeu de possession, fait d’animation dans des petits espaces pour trouver des décalages et contourner ces blocs de plus en plus resserrés. C’est une amélioration ou une innovation pour essayer de contrer ces problématiques. C’est une capacité de changer de système, d’innover, comme on l’a fait par exemple lors Final Eight. Je veux jouer sur l’adaptation tactique des joueuses pour proposer des choses nouvelles. Le foot féminin va beaucoup s’améliorer par rapport à ça. On avait souvent des 4-3-3, avec une base et deux joueuses un peu plus haut, et aujourd’hui il y a beaucoup de 4-4-2. On ne trouve plus des ailières qui restent campées sur leur ligne, mais qui viennent dans le cœur du jeu. L’évolution moderne se fait parce qu’il y a des entraîneurs qui voient ce qui s’applique chez les garçons, et qu’ils le transposent facilement chez les filles. Parce que ça reste du foot.

Vous avez un bagage de haut niveau masculin, et de formateur. Comment vous adaptez-vous à une équipe féminine, et de joueuses confirmées ?

Si vous ne cherchez plus à vous améliorer à n’importe quel âge, alors vous êtes bientôt has been. Moi, je continue à en apprendre tous les jours. Et j’apprends d’autant plus que je suis avec cette équipe de championnes. Même quand vous avez affaire à des joueuses de plus de 30 ans, elles sont en capacité d’apprendre et elles en ont besoin pour garder le coup d’avance que nous avons aujourd’hui. Je les entraîne comme des hommes. Je leur demande une plasticité tactique, une qualité technique, d’aller plus vite, d’avoir la mainmise sur le jeu, de dicter les tempos de match, et d’être en capacité de compenser les absences. Par exemple, Nikita Parris joue un peu plus avant-centre aujourd’hui, Delphine Cascarino peut jouer en deuxième attaquante. Je veux les amener à sortir de leur zone de confort pour les amener dans une zone un peu plus floue, mais où elles ont les capacités et les qualités nécessaires pour imposer leur manière de jouer.

Vous n’avez perdu qu’un seul match depuis votre arrivée, contre le Paris Saint-Germain. La défaite en général est-elle plus dure à accepter quand elle n’arrive pas souvent ?

C’est une saveur que j’avais oubliée et qu’on m’a rappelée ! Mais n’est-ce pas une opportunité pour nous relancer, pour continuer à retravailler, à innover ? Maintenant, j’ai une équipe de championnes. Elles détestent perdre, je déteste aussi. C’est l’ADN du club. Mais quand ça nous arrive, ça doit être une opportunité pour pouvoir se relancer, et repartir sur une série de victoires.

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Cette défaite est un coup dur pour Lyon, mais est-ce plutôt une bonne nouvelle pour le football féminin français de voir que Lyon n’est plus imbattable ? Cela peut-il libérer certaines équipes et améliorer le niveau général du championnat ?

On n’est pas imbattables, puisqu’on a perdu ! (rires) Les matches contre le Paris Saint-Germain, dans la globalité, sont toujours des matches très serrés depuis quelques années. On a joué contre la Juventus, qui est très organisée, où le président Agnelli a investi, c’est une aubaine. On a joué dans le Juventus Stadium, et le retour sera au Groupama Stadium. Quand tout le monde considèrera le football féminin de cette manière-là, on pourra avancer. Aujourd’hui, on doit professionnaliser le football, avoir cinq changements comme les garçons. Tous ces rapprochements vont aider au développement. A Turin, on a joué dans un grand stade. Le score a été très serré contre une belle équipe, professionnelle, qui travaille bien. Et le côté spectaculaire, enjeu, émotionnel, on le retrouve sur des matches comme ça. Et pourtant, c’était un seizième de finale de foot féminin ! Mais on a retrouvé tout ce que les amoureux du foot aiment. Il faut qu’on se rapproche de la professionnalisation, et on trouvera des écarts plus serrés, et c’est ce qui créera de la concurrence. Si la concurrence est déloyale, quel est l’intérêt ? Quel est l’intérêt de la victoire 14-0 de la France sur le Kazakhstan pour la promotion du foot féminin ? Ce n’est pas là que ça s’est joué, mais plus sur le match France-Autriche, avec deux équipes de niveau presque similaire. Les PSG-OL, OL-Juventus, et tous les autres qui seront très serrés redonneront du goût à l’incertitude sportive.

La France a accueilli la Coupe du Monde Féminine de la FIFA 2019™ avec succès, mais l’engouement semble un peu retombé depuis. Comment peut-on raviver la flamme de cette passion de l’été 2019 ?

Le Covid y est pour beaucoup. Auparavant, il y a eu un Juventus-Fiorentina qui s’est joué devant 35 000 personnes ! France 2019 a été une très belle réussite. La compétition s’est passée dans des stades à la hauteur de l’événement, avec des équipes qui ont livré des matches très serrés, donc il faut retrouver un contexte professionnel. On a joué à Reims et à Dijon, sur les terrains des garçons pros. Il faut que les joueuses puissent en vivre, qu’elles aient des infrastructures de qualité, qu’elles n’aient pas à s’entraîner à 22h parce qu’elles n’ont pas de terrain disponible avant... Il faut professionnaliser, avoir des contrats, cinq changements comme les garçons pour réduire les risques de blessure, pour faire jouer des jeunes et révéler des talents, jouer dans des grands stades, que les grands clubs professionnels hommes appuient les sections féminines.

Quand on prend en main une équipe qui gagne tout, y a-t-il de la pression à l’idée de peut-être devenir "celui qui ne gagne pas tout" ?

Bien sûr ! Quand je suis venu, cela faisait quatre ans de suite que Lyon gagnait la Champions League, donc je suis venu avec cette pression. Mais je l’ai gagnée quand même pour la cinquième année… Et je sais que je suis venu pour faire perdurer ça. Mais tout le monde s’organise, ça fait longtemps qu’on est chassés, on connait des absences importantes. Rien ne nous est épargné, mais on est toujours là. Même si on a perdu un match contre le PSG, il y a un match retour, le championnat n’est pas fini, on a toujours la foi, et la faim de conquêtes, on fera tout pour rester en course dans toutes les compétitions et les remporter.

Si vous deviez retenir un moment spécial de l’année exceptionnelle que vous avez vécue, au moins au niveau football, lequel serait-ce ?

La finale de la Champions League. Parce que c’était notre objectif, et parce qu’on est rentrés dans l’histoire en égalant le Real Madrid dans l’enchaînement des victoires en Coupe d’Europe. On a une chance extraordinaire de le battre cette année. La pression est sur nous parce qu’on est tenant du titre, mais ça ne nous en rajoute pas plus : c’est un objectif, de rentrer définitivement dans l’histoire du foot avec un sixième titre.

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