mercredi 04 janvier 2017, 09:17

Les Mighty Girls veulent changer le Cambodge

Le simple fait de jouer au football peut-il devenir un geste de défi, un symbole de liberté individuelle ? C'est ce que vivent de nombreuses jeunes filles au Cambodge, où la perspective de voir des femmes s'adonner à la pratique du sport reste mal acceptée socialement. Un groupe baptisé Mighty Girls a décidé de faire bouger les choses, en offrant sécurité et confiance à une jeunesse dans le besoin. Ce mouvement s'inscrit dans le prolongement de l'association SALT Academy ("formation sportive et leadership") basée à Battambang.

A 15 ans, lors de ses premières parties balle au pied, Linda Choeun s'est trouvée confrontée à la haine et aux insultes, au point d'être chassée de chez elle. Sa participation au festival Football for Hope organisé dans le cadre de la Coupe du Monde de la FIFA 2010™ en Afrique du Sud a changé le cours de son existence. En rejoignant le programme Mighty Girls, Choeun s'est forgé un nouvel avenir. À 22 ans, elle étudie l'anglais à l'université et ne ménage pas ses efforts au service de l'association qui l'a tant aidée.

"SALT et Mighty Girls m'ont fourni une formation et des compétences utiles. J'ai énormément profité de cette expérience. J'ai pu devenir une meneuse, une arbitre, une éducatrice et une enseignante pour des jeunes filles qui ont traversé les mêmes épreuves. J'ai eu la chance de voyager dans d'autres pays, d'apprendre des choses inimaginables et de participer au développement de l'association", explique-t-elle.

Sam Schweingruber a fondé SALT en 2006 avec l'ambition d'aider des jeunes en difficulté, de les guider et de leur permettre d'aider à leur tour d'autres jeunes dans le besoin. "Nous voulons que les filles grandissent et s'amusent. Ensuite, nous voulons qu'elles aient la possibilité de travailler. Elles ont encore beaucoup de chemin à parcourir et nous devrons être là pour les aider. La patience est de rigueur, mais je rêve de voir un jour la SALT Academy dirigée, gérée et encadrée par des anciennes de Mighty Girls", explique le professeur et entraîneur d'origine suisse, qui considère le parcours de Choeun comme un exemple à suivre dans le domaine de l'égalité des sexes et de la lutte contre la pauvreté dans la région. "Linda incarne tous nos espoirs dans l'avenir. Mais nous savons que ce projet ne représente qu'une première étape. Les garçons et les filles auront besoin de beaucoup plus s'ils veulent disposer de bases solides pour la suite de leur vie. C'est indispensable s'ils veulent acquérir les qualités qui leur permettront de faire bouger le Cambodge."

Lentement, mais sûrement Pour Schweingruber, Mighty Girls s'inscrit dans un projet au long cours : mettre le football au service du développement social au Cambodge. Ancien joueur et entraîneur, il a remporté le championnat à deux reprises avec Phnom Penh Crown. Le plus ambitieux programme de SALT a pris la forme d'un championnat de football qui associe entraînements et ateliers de développement personnel, des formations et un engagement au service de la communauté.

Toutefois, le travail réalisé dans le domaine de l'émancipation des femmes a pris une importance particulière à ses yeux et pour son association. "En 2007, j'ai demandé aux bénévoles et aux salariés ce qu'ils pensaient d'intégrer une équipe de filles au championnat, juste pour le plaisir. Leur réaction m'a fait comprendre que nous devions absolument travailler avec des jeunes filles si nous voulions avoir une chance d'accomplir notre mission au Cambodge. Peu de temps après, j'ai totalement arrêté d'entraîner les garçons pour me consacrer pendant plusieurs années aux filles", raconte Schweingruber, qui a également créé et entraîné les sélections féminines cambodgiennes à différents niveaux. Les joueuses de Mighty Girls ont tenu une place importante au sein de ces équipes, malgré une progression relativement lente.

SALT et Mighty Girls poursuivent néanmoins leurs efforts. Ils accueillent actuellement une trentaine de jeunes filles. Une douzaine vivent dans un foyer où, en marge de leurs entraînements et de leurs formations, elles sont nourries et reçoivent une éducation. Malgré son statut de modèle, Choeun considère les jeunes femmes qui l'entourent comme une source d'inspiration. "Les Mighty Girls sont des exemples à suivre qui contribuent à changer l'image que les parents et la société se font des jeunes filles. Je vois de plus en plus de Cambodgiennes qui s'investissent dans le football et dans les études. C'est un changement important."

Mieux que quiconque, Schweingruber mesure la distance qui reste à parcourir. En attendant, les avancées déjà réalisées lui donnent du cœur à l'ouvrage. "Nous suscitons un véritable intérêt chez les jeunes, ce qui nous permet d'organiser davantage de matches. Cependant, pour aller plus loin, il faudrait que des clubs se manifestent afin de former un championnat. En dehors du terrain, nous avons vu nos jeunes meneuses gagner en confiance. Elles se font aujourd'hui une meilleure idée du monde qui les entoure, des défis à relever et du potentiel de développement que représente le football."