vendredi 08 février 2019, 20:13

Il n'est jamais trop tôt pour faire tomber les barrières

  • Il y aura un avant et un après Candelaria Cabrera

  • Un règlement allait l'empêcher de jouer avec les garçons

  • Ses parents, les joueuses argentines et Cande ont impulsé un changement de fond

"Maman, c'est dans combien de temps, le foot ?" Rosana Cabrera ne se formalise pas d'être interrompue par sa fille pendant son entretien avec FIFA.com. "Elle reprend l'entraînement aujourd'hui et elle a mis une alarme pour ne pas arriver en retard", confie-t-elle, encore toute à sa joie d'avoir vu sa fille obtenir gain de cause.

Candelaria Cabrera a huit ans, elle joue dans le club Huracán de Chabás, une ville de 9 000 habitants située dans la province de Santa Fe, et elle est la seule fille, parmi des centaines de garçons, à participer au championnat régional, la Liga Casildense.

En juillet 2018, le coordinateur du club a surpris Rosana en lui annonçant que Candelaria, membre de Huracán depuis 2016, n'allait plus pouvoir jouer avec ses camarades. "Comme ils cherchent des joueurs de plus en plus jeunes, ils ont ramené l'âge d'inscription à un club de 12 à huit ans il y a quelque temps. C'est lié aux droits de formation", explique-t-elle. "Cande avait sept ans et elle approchait du moment auquel demander une licence, mais elle n'en avait pas la possibilité, puisqu'il n'existe pas d'équipe féminine dans le championnat. Comme il lui était interdit de jouer avec les garçons, elle était coincée. Elle pouvait s'entraîner, mais pas participer aux compétitions."

Elle l'a très mal vécu. "Quand nous le lui avons dit, elle a éclaté en sanglots. 'Pourquoi sont-ils si méchants ? Qu'est-ce que j'ai fait de mal' ?, demandait-elle. Elle était inconsolable", poursuit Rosana.

"Candelaria est passionnée de football", commente Rosana. "Je ne suis pas footballeuse, mais j'ai toujours suivi Independiente. Elle est fan de Boca Juniors, comme son père. Le ballon a toujours été son jouet préféré." Au point que, lorsqu'on lui a fait faire du hockey féminin sur le terrain de Huracán, elle a passé son temps à épier les joueurs de football. "Un jour, nous sommes allés sur la place du village et elle a disparu. Nous l'avons retrouvée en train de taper dans un ballon avec des amis."

C'est à ce moment-là que Rosana a décidé de la laisser jouer au football. "Elle avait cinq ans. J'avais peur qu'elle se blesse, mais aussi qu'on lui manque de respect, qu'on l'insulte. Certaines mères m'ont même dit : 'Ne le fais pas, elle sera stigmatisée', comme si c'était quelque chose de honteux."

Comme un poisson dans l'eau

Cande était comme un poisson dans l'eau au poste d'arrière gauche. Elle n'avait peur de rien, ni du ballon, ni des adversaires, ni du qu'en-dira-t-on. "J'ai entendu des parents dire : 'On ne peut pas perdre contre une fille', ou 'Tu ne vas pas laisser une fille te prendre le ballon'. Mais j'ai aussi reçu des soutiens."

La jeune joueuse préfère, quant à elle, regarder des vidéos de Carlos Tevez et de Lionel Messi. Elle a même déjà acquis les travers du métier. "Un jour, elle a pris un ballon en plein visage. Comme elle tardait à se relever, je me suis approchée de la grille pour lui demander si elle allait bien. 'Je gagne du temps', m'a-t-elle répondu. J'étais partagée entre la colère et le rire", avoue la maman.

Rosana n'est pas restée les bras croisés. Elle s'est renseignée sur les démarches à effectuer et a donné libre cours à sa frustration sur Facebook. Elle était loin d'imaginer que son histoire, relayée par les médias, arriverait aux oreilles des joueuses de la sélection féminine argentine.

"Elle a d'abord reçu un courrier d'Estefanía Banini, la capitaine de l'équipe, qui lui a écrit des États-Unis, puis de Ruth Bravo, elle aussi membre de la sélection et pensionnaire de Boca. Elles lui ont toutes deux raconté leur histoire. Elles ont vécu des problèmes similaires et lui ont conseillé de tenir bon. Leurs lettres font désormais partie de ses trésors les plus précieux", confie Rosana.

Un début prometteur

L'affaire a pris une telle ampleur que Bravo s'est rendue à Chabás en compagnie d'autres footballeuses, dont Belén Potassa, mondialiste en 2011 et attaquante de l'Albiceleste, pour donner un stage à Huracán. "Les coéquipiers de Cande ne savaient pas qu'il existait une sélection féminine", avoue Rosana.

Candelaria, qui a fêté ses 8 ans en septembre, a pu jouer jusqu'à la fin de l'année. La Liga Casildense s'est ensuite penchée sur la question et a opéré un changement de fond. "Ils ont créé un département de football féminin. La mixité a été autorisée jusqu'à 11 ans et les clubs pourront former des équipes de filles à partir de 12 ans. Nous verrons comment les choses évoluent, mais c'est un début."

Comment Candelaria a-t-elle réagi ? "D'abord, elle a convaincu sa sœur, qui a six ans, de se mettre au football. Et maintenant, elle se demande ce que nous ferons quand elle rejoindra Boca !", répond Rosana en riant.

On entend de nouveau Cande appeler du fond de la maison : "Maman, où as-tu mis mes crampons ?"