mardi 22 septembre 2020, 06:54

Petit : "Les dieux du foot étaient avec nous"

À l'occasion de l'anniversaire d'Emmanuel Petit, qui fête ses 50 ans ce 22 septembre, FIFA.com vous propose de redécouvrir l'interview qu'il nous avait accordée en 20007.

Passeur décisif et dernier buteur en finale de la Coupe du Monde de la FIFA, France 1998, "Manu" Petit a été l'un des grands acteurs du sacre français. Symbole de l'état d'esprit qui animait les Bleus durant la compétition, il revient sur cet inoubliable parcours.

Quel est votre premier souvenir de la Coupe du Monde de la FIFA ?

La fameuse demi-finale de 1982 entre l'Allemagne et la France, quand Schumacher sort. C'est un mauvais souvenir car on a perdu sur un tir au but manqué de Maxime Bossis. Le bon souvenir, c'est 1986 : la victoire de la France contre le Brésil, avec le tir au but de Luis Fernandez.

Michel Platini vous sélectionne en équipe de France en 1990. Mais vous n'êtes pas retenu en 1996. Que ressentez-vous lorsque vous êtes pris dans le groupe en 1998 ?

Je rêvais de récupérer le train en marche. En 1990, âgé de 19 ans, j'étais en avance sur ma génération. En 1992, j'ai participé au championnat d'Europe en Suède. Mais en 1993 on a perdu contre la Bulgarie et Israël alors qu'il suffisait d'un seul point pour la qualification à la Coupe du Monde aux USA... Il s'en est suivi deux ou trois années de traversée du désert.

En 1998, la sélection était critiquée, Aimé Jacquet très contesté. Cette ambiance a-t-elle affecté l'équipe ? Quel était votre état d'esprit ?

Cela ne nous a pas vraiment affecté. On connaît la presse et je ne crois pas que ce soit un syndrome purement français. Dans tous les pays où le football tient une grande place, il y a toujours une presse qui fait le travail qu'elle estime devoir faire.

Votre grande combativité s'exprime sur les images des différents matches. Et vous étiez souvent l'un des premiers à aller féliciter le joueur qui avait marqué. C'est votre marque de fabrique ?

A Arsenal, on me surnommait le Lion. En équipe de France, cela tenait aussi aux postes où j'évoluais. J'ai commencé comme défenseur, puis ai été intégré en milieu de terrain. A ce poste, si vous n'avez pas un rendement physique important, vous passez inaperçu, car vous êtes le relais entre la défense et l'attaque. En ce qui concerne la célébration des buts, si j'étais le premier à féliciter le joueur, c'est que j'étais tout simplement content, pour lui et surtout pour l'équipe.

Leonardo of Brazil challenges Emmanuel Petit of France

Lors de la finale vous intervenez à des moments clés, notamment sur les corners. Les aviez-vous soigneusement préparés ?

Sur ces phases de jeu, chacun des six ou sept joueurs présents dans la surface savait exactement où il devait se positionner. Le tireur, lui, avait pour objectif de prendre en compte les qualités défensives aériennes de l'équipe. Si vous avez une bonne technique et un bon dosage du ballon vous pouvez sept fois sur dix arriver à le mettre où vous voulez. Bien sûr, parfois, vous ratez complètement un corner : la balle n'est pas suffisamment haute, ou au contraire trop haute, ou encore le gardien arrive à la capter facilement ; mais généralement, quand vous jouez en haut niveau, vous savez où vous voulez la mettre.

Là, par exemple, aviez-vous délibérément essayé de viser la tête de Zidane ?

Oui, je l'ai mis au premier poteau parce que je savais que Zizou avait une bonne détente verticale. Parmi ses qualités, personne ne mentionnait son jeu de tête, parce qu'il ne marquait pratiquement jamais de la tête. J'avais également remarqué que, sur les corners, les Brésiliens mettaient toujours un joueur au deuxième poteau, mais laissaient souvent leur premier poteau dégarni. Il fallait une frappe à la fois assez aérienne et suffisamment tendue pour empêcher l'interception, non seulement du gardien, mais aussi du défenseur.

French players Zinedine Zidane (R) and Emmanuel Petit celebrate

Après les deux buts de Zidane, quelles consignes recevez-vous à la mi-temps ?

Dans le vestiaire régnait une excitation extrême ! Sur le terrain, les Brésiliens se cherchaient, certains s'engueulaient. Et à 2-0, quand tes adversaires s'engueulent, tu peux en conclure que tu as fait un grand pas vers la victoire. Notre exaltation était telle qu'il a fallu qu'Aimé Jacquet nous dise : "Maintenant les gars, calmez-vous ! On reprend le match à 0-0 !" Tant qu'ils n'avaient qu'un genou à terre, ce n'était pas gagné !

En effet, en seconde période, les Auriverdes étaient prêts à remonter...

Ils avaient, je crois, cinq attaquants sur le terrain. De plus, nous perdons Marcel (Desailly) qui reçoit un carton rouge. Dans le dernier quart d'heure, il y a eu une forte pression sur notre but. Heureusement, nous avons bénéficié d'un grand Fabien Barthez. Je pense notamment à la frappe à bout portant de Ronaldo, qu'il arrive à sortir. A ce moment-là, les dieux du foot étaient avec nous, parce qu'à 2-1, à dix contre onze, on aurait vécu dix minutes vraiment pénibles.

Sur le dernier corner brésilien, vous jouez comme un avant-centre, vous courez comme un fou !

Comme un dératé ! Tout est allé très vite. Il y a eu un dégagement de notre défense, et comme j'avais remplacé Marcel Desailly en défense centrale, j'ai vraiment senti le coup. En l'espace de deux, trois passes, on a remonté le terrain, et puis il y a eu cette passe de Patrick Vieira dans l'axe.

Vous tirez alors comme un attaquant. Pouvez-vous nous préciser l'action ?

Quand Patrick me donne le ballon, Cafu arrête sa course pour le regarder. J'en profite pour faire une course, juste deux mètres avant lui pour ne pas être hors jeu, presque dans l'axe du premier poteau du but de Taffarel. Patrick me donne la balle dans l'espace, et je vois que le gardien brésilien sort mal, fermant bien son premier poteau, mais ouvrant complètement le deuxième. Plus je courrais vers lui, plus cet espace se rétrécissait. Si j'avais été un attaquant pur, peut-être aurais-je tenté un dribble sur le gardien. Mais j'ai préféré frapper directement, à l'instinct, et surtout à l'effet de surprise : il ne s'y attendait pas du tout.

Au moment de la remise du trophée, on ne vous voit pas le brandir, pourquoi ?

Non, je l'ai quand même tenu, mais pas lors de la remise en tribune officielle, c'est vrai. Je pense que je devais être derrière tout le monde. Je l'ai touché après, dans les vestiaires.

Vos souvenirs sont-ils ravivés ? ( on lui tend le trophée)

Elle est magnifique ! C'est un rêve d'enfant. Comme les autres gamins, je collectionnais les images des albums Panini, que nous échangions à l'école. Cette Coupe du Monde était très difficile à avoir, je parle bien sûr de l'autocollant ! De toutes les coupes qu'il m'ait été donné de toucher ou de voir, je crois que c'est la plus belle, à cause de ce qu'elle symbolise : des personnages soutenant le monde au bout des doigts. Ce trophée, pour un joueur, c'est le Graal suprême !

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