mercredi 08 février 2017, 09:57

Hallgrimsson, le verre de l'amitié et les dents du bonheur

Il faut pousser les portes d’un pub pour avoir une chance de trouver le sélectionneur de l’Islande à quelques heures des matches importants de son équipe. Cela peut sembler inhabituel, voire inquiétant. Mais Heimir Hallgrimsson ne se rend pas à cette adresse de Reykjavik dans l’intention de se détendre avec un peu d’alcool. Il perpétue simplement une tradition récente, inaugurée en 2011, lorsqu’il a été nommé adjoint de Lars Lagerbäck, dans un contexte alors morose.

"Quand nous sommes arrivés avec Lars, on manquait de soutien et d’enthousiasme derrière cette équipe", se souvient-il au micro de FIFA.com. "Je me suis donc très vite rendu au club des supporters. Je leur ai dit que je me rendrais dans leur bar avant chaque match, pour leur faire part de ce que nous allions faire. Ils seraient les premiers à connaître la composition, notre schéma de jeu et je leur montrerais la vidéo d’encouragement réalisée pour les joueurs, qui la regarderaient dans le même temps."

"J’ai toujours pensé que vous méritiez un petit quelque chose de plus lorsque vous venez à tous les matches pour chanter, crier et encourager l’équipe", poursuit-il. "C’était juste notre façon de montrer à ces vrais fans notre respect et notre estime. Ça leur a permis de se sentir au cœur de l’action, d’en savoir davantage que les autres spectateurs ou ceux restés à la maison pour regarder le match. Je sais que ça peut paraître bizarre, dans d’autres pays, que le sélectionneur se rende dans un bar avant des matches importants. Mais c’est ce qui fait notre différence et je suis persuadé que ça a renforcé les liens entre les supporters et l’équipe. Cette proximité nous singularise et nous voulons la conserver."

Pourquoi changer ? Les résultats plaident en faveur de son rituel d’avant-match. Sans être intimidant au premier abord, le modeste stade Laugardalsvollur de Reykjavik est devenu une forteresse. L’Islande n’y a pas perdu un seul de ses 11 derniers matches officiels, s’offrant au passage les scalps de la Finlande, des Pays-Bas et de la Turquie, deux fois. D’abord adjoint, puis co-sélectionneur, Hallgrimsson, désormais seul aux manettes, va-t-il déléguer à un membre de son encadrement le passage obligé par le bar avant les matches ? "Je me suis demandé, lorsque Lars est parti, si je devais continuer à le faire", répond-il. "Mais je l’ai fait avant les réceptions de la Finlande et de la Turquie et je me suis dit : pourquoi arrêter ? Ça fait simplement partie de ma routine d’avant-match désormais."

Faire les choses différemment est devenu la marque de fabrique d’Hallgrimsson qui a longtemps ontinué à travailler comme dentiste, à mi-temps, quand il était adjoint et co-sélectionneur avec Lagerbäck. "Je continue toujours, même si je suis désormais seul en charge, à travailler comme dentiste de temps en temps", insiste le sélectionneur, originaire d’une petite île, Heimay, dont la population ne dépasse pas les 5 000 habitants. "Certains entraîneurs aiment jouer au golf dans leur temps libre, d’autres vont pêcher… Moi je me rends à mon cabinet dentaire ! Ça me permet de ne plus penser au football pendant un certain temps et de voir mes patients et mes collègues, des gens qui me manquent."

Lagerbäck compte parmi ceux-là. Le Suédois est devenu, au fil des cinq années passées ensemble, un ami proche et un mentor. "Je suis quelqu’un qui aime apprendre et je ne pense pas que j’aurais pu avoir un meilleur professeur que Lars", assure-t-il. "J’aimais aussi lorsqu’il disait, à chaque fois que nous rencontrions un problème : 'J’ai connu quelque chose de similaire avec la Suède et voilà ce que nous avons fait'. Ça ne voulait pas toujours dire qu’il avait trouvé la solution, il apprenait en fait souvent de ses erreurs."

Désormais seul aux commandes, l'entraîneur-dentiste se sert de l'expérience emmagasinée aux côtés de Lagerbäck pour réussir dans sa quête de reconnaissance personnelle. "Je n’ai jamais eu l’ambition d’être le meilleur adjoint au monde. J’ai toujours voulu être un bon entraîneur par moi-même", admet celui qui a hérité d'un groupe qui a franchi un cap lors de l'UEFA EURO 2016. "Ce que nous avons accompli ensemble a clairement fonctionné, il n’y a donc pas eu besoin de changer grand-chose depuis le départ de Lars. La plus grosse différence est sur le plan médiatique. L’intérêt pour l’Islande a explosé depuis l’EURO, mais c’est agréable de voir tout le respect et l’attention dont bénéficie dorénavant le football islandais."

Lendemain de fête Revers de la médaille, l'effet de surprise a disparu. "Plus personne ne nous sous-estime", sourit Hallgrimsson. "Nos adversaires nous observent beaucoup plus soigneusement et jouent différemment." Malgré les difficultés engendrées par ce nouveau statut, l'Islande est toujours bien placée dans la course à la qualification pour la Coupe du Monde de la FIFA, Russie 2018™. "Nous pouvons être satisfaits jusqu’ici", souligne le technicien, bien qu’une défaite 2:0 face à la Croatie ait mis fin à l’invincibilité des Scandinaves dans le Groupe I, les reléguant à trois points de leur bourreau. "L'Islande a fait une grosse fête après l’EURO. Et nous savons tous ce qu’il en coûte habituellement le lendemain : ce n’est pas toujours simple de se lever pour retourner au travail. Cela étant, nous avons admirablement démarré en faisant match nul avec l’Ukraine et en battant la Finlande et la Turquie", se félicite-t-il. "Nous avons perdu en Croatie, mais nos adversaires étaient tout simplement meilleurs ce jour-là et je n’ai rien à reprocher à mon équipe. La Croatie a de meilleures individualités et leur qualité a fait la différence. Face à des équipes de ce calibre, nous pouvons perdre même en jouant notre meilleur football."

Le match retour face aux Croates aura lieu en juin et Hallgrimsson espère que le public islandais - chauffé à blanc par une nouvelle descente au bar - pourra porter son équipe vers un succès. Elle devra cependant se rendre d’abord au Kosovo, un déplacement que les quart de finalistes du dernier EURO ne prendront pas à la légère. "Nous savons mieux que quiconque à quel point il peut être dangereux de sous-estimer un adversaire", assure Hallgtimsson. "Nous avons vu suffisamment d’équipes le faire avec nous et en payer le prix. Nous sommes concentrés et ce sera nécessaire car la qualification se jouera à peu de choses", prévoit-il. "Nous devons juste croire que nous irons en Russie et faire tout ce qui est en notre pouvoir afin d’y parvenir. Nous n’avons pas peur de dire que c’est notre objectif."

Les bars de Reykjavik sont déjà prêts à le célébrer, et Hallgrimsson y a sa place réservée.