mercredi 02 juillet 2014, 23:07

Hidalgo : "Faire des grands matches ne suffit pas"

Quand la France a rencontré l'Allemagne en Coupe du Monde de la FIFA pour la deuxième fois de son histoire, lors de la fameuse nuit de Séville en 1982, le sélectionneur tricolore s'appelait Michel Hidalgo. A la tête des Bleus depuis 1976, il avait progressivement métamorphosé une sélection alors moribonde en une armada séduisante et conquérante sur la scène internationale.

Le technicien, qui a mené la France au titre de champion d'Europe en 1984, a favorisé l'éclosion et l'épanouissement au plus haut niveau d'une génération dorée emmenée par Michel Platini, Alain Giresse et autres Maxime Bossis. Alors que les joueurs de Didier Deschamps s'apprêtent à se mesurer à l'Allemagne en quart de finale de Brésil 2014, Hidalgo a accordé un entretien à FIFA.com dans lequel il analyse les forces en présence et revient sur le douloureux souvenir de la défaite épique dans le dernier carré d'Espagne 1982 contre la Nationalmannschaft de Manfred Kaltz, Pierre Littbarski et du gardien de but Harald Schumacher...

Quel souvenir gardez-vous de cette demi-finale perdue contre l'Allemagne, le 8 juillet 1982 ?

Nous gardons forcément un mauvais souvenir de ce match. Nous étions heureux d'avoir fait un parcours de qualité, et l'Allemagne a été un concurrent redoutable. Et ça a été un bon match à tous points de vue, plaisant et très disputé. Malheureusement est arrivé le problème du gardien allemand qui a frappé Battiston de plein fouet. Platini l'a accompagné sur la civière en lui tenant la main. On voit à l'image que c'est un bras qui tremble, et qu'il ne peut pas l'arrêter. Malheureusement, ça a marqué notre équipe. Par contre, le gardien allemand n'a pas été sanctionné, et n'a pas eu de geste pour aller voir le blessé. Il est resté là, comme s'il n'avait rien fait, comme s'il n'était pas responsable. Nous n'avons pas compris comment après un tel choc, l'arbitre n'a pas sanctionné.

Comment s'est déroulé le match par la suite ?

Il y avait 1:1 et ça a coupé notre élan, même si finalement nous avons mené 3:1 en prolongation avant d'être rejoints par l'Allemagne. Malheureusement, nous avons perdu aux tirs au but et nous avons raté la finale qu'on espérait tous, celle de la Coupe du Monde. C'était très dur à supporter. J'ai jamais vu une équipe d'hommes devenir ainsi une équipe de minimes après un match. Il y avait beaucoup de pleurs, mais aussi un sentiment de révolte par rapport à ce qui s'était passé, particulièrement chez Michel Platini. Il avait raison. Les Allemands, eux, ont fait ce qu'ils devaient faire, jusqu'au bout. Ce n'est pas eux qu'il fallait pointer du doigt, sauf leur gardien qui avait touché Battiston très violemment. Il a eu plusieurs dents cassées et est allé directement à l'hôpital.

Vous souvenez-vous de ce que vous avez dit dans le vestiaire ?

Oh, quand c'est une demi-finale aussi importante contre les Allemands, il n'y a pas besoin de parler beaucoup avant la rencontre. Nous avions en face une équipe de grande qualité et un enjeu énorme. Mais même si on connaissait la valeur de l'adversaire, ça n'était pas simple d'accepter de perdre alors qu'on pensait avoir les moyens d'aller en finale.

Voyez-vous des similitudes entre le France-Allemagne tel qu'il se profilait à l'époque, et celui à venir ce vendredi 4 juillet ?

Non, car en ce temps là, c'étaient deux équipes connues avec des grands noms, aussi bien chez les Allemands que chez les Français. Là, il y a l'Allemagne qui a fait des résultats et dont on connait la qualité, mais par contre, il y a une équipe de France avec beaucoup de jeunes. On ne sait pas encore ce qu'ils sont capables de faire, mais ils ont beaucoup de talent.

Il y a le sélectionneur, qui a beaucoup d'expérience…

Oui, ils sont encadrés par Didier Deschamps qui a une grande carrière et qui sait très bien comment mener ces jeunes joueurs. Il ne leur dit pas "vous êtes les plus beaux, les plus forts". Si certains, à un moment, disent qu'ils vont aller en finale, il est là pour rappeler qu'il faut gagner match par match. Bref, il les maîtrise très bien.

Quelle ambition peut avoir cette jeune équipe pour ce quart de finale ?

Il y a quelques temps, on aurait dit qu'on ne peut rien faire contre l'Allemagne, parce qu'ils sont expérimentés et qu'ils ont de beaux joueurs. Dans cette Coupe du Monde, ça n'est pas vrai ! L'Allemagne paraît un peu fatiguée. Elle a eu des faiblesses. Nos joueurs, eux, ne sont pas fatigués car ils n'ont pas eu des matches très dur à faire. Et en plus de leurs qualités, ils ont un désir d'aller jusqu'au bout. On peut les comprendre car ils ont tout réussi jusqu'à maintenant. Ils ont encore une forme de fraîcheur, et ça va être important pour ce match.

Jusqu'où va votre optimisme ?

Quand on voit tout ça, on se dit pourquoi pas la France en finale ? Comme en 1998… Ils sont forts physiquement et peuvent dérégler des équipes supérieures techniquement. Bon, l'Allemagne est tout de même un adversaire de grande classe, mais pour le moment, notre Mondial a tutoyé la perfection et nos jeunes Bleus sont dans une forme optimale. On n'est pas fou, on sait qu'on n'est pas à l'abri d'un trou, mais personnellement je n'y crois pas. Je pense que nous allons pouvoir faire quelque chose, et ça veut dire gagner ! Faire des grands matches ne suffit pas quand on veut gagner un titre. Mais France-Allemagne, personne, je dis bien personne, ne peut prédire qui va gagner, mais ça sera certainement un grand match.

Certains Bleus vous plaisent-ils particulièrement ?

Il y en a que je connais beaucoup mieux que d'autres. Je vois beaucoup Mathieu Valbuena à Marseille et il fait partie des joueurs les plus expérimentés. Il n'a pas fait une grande saison en club, mais curieusement il est très bon avec l'équipe de France. Il a un jeu pour servir toute cette jeunesse, et c'est donc un joueur qui est important. Je ne veux pas trop parler des autres joueurs, mais je pense qu'ils vont démontrer leur valeur sur le terrain. Ce qui est curieux, c'est que cette équipe avait deux joueurs expérimentés qui ne sont pas là. Franck Ribéry était un joueur au dessus du lot avec tout ce qu'il a fait dans sa carrière et il sortait encore d'une grande saison en Allemagne. Le second, c'est Steve Mandanda. Ils ne sont pas là et on n'en parle pas ! Ça veut dire que les jeunes ont su faire ce qu'il fallait pour que ça ne soit pas un manque.