mardi 19 septembre 2017, 12:33

Joubert : "Avant, je me disais : 'J'en prends combien aujourd'hui?'"

FIFA.com a rencontré Jonathan Joubert, le gardien de but du Luxembourg, après le match nul historique obtenu en France en qualifications pour la Coupe du Monde de la FIFA, Russie 2018™ (0:0). Il évoque la campagne réussie des Roud Léiwen, les progrès réalisés ces dernières années, et le changement de philosophie de jeu qu’il a observé durant plus de 10 ans dans les buts de la sélection.

A 38 ans, le dernier rempart de Dudelange a gardé le meilleur pour la fin, même s’il lui reste encore quelques objectifs à atteindre.

Jonathan, une dizaine de jours après votre exploit en France,  avez-vous revu le match ? Y a-t-il des moments qui vous ont surpris et que vous n’aviez pas réalisés sur le moment ? J’ai revu des extraits, mais pas le match en entier. Surpris, non. Ce qui a été fait, je ne dirais pas que c’est "normal", mais en tant que gardien, c’est mon job. Mais c’est sûr que quand on voit le résultat final, qu’on voit tous les gens qui nous sautent dessus, les supporters en fête, on se rend compte qu’on a peut-être réalisé quelque chose d’exceptionnel. En plus contre la France, mon pays d’origine et je fais un match quasi parfait. Pour moi, c’est extraordinaire.

Honnêtement, quelques heures avant le coup d’envoi, quel scénario imaginez-vous ? Même en étant très motivé et optimiste, imaginiez-vous possible de ne pas prendre de but en France ? Non, surtout quand on voit la qualité des joueurs de l’équipe de France. Mon objectif, c’était d’en prendre le moins possible avant la mi-temps, et tenir le zéro le plus longtemps possible. Mais on s’est dit qu’à un moment ou un autre, la France allait réussir à marquer. C’était déjà bien d’arriver à 0:0 à la pause, et je me suis dit qu’en deuxième période, on allait faire la même chose : tenir le plus longtemps possible pour limiter la casse. Et en fait on a tenu jusqu’à la fin… Il y a un moment précis dans le match, quand je sors une tête de Djibril Sidibé, je me dis : "Bon, aujourd’hui ils vont vraiment avoir du mal à marquer. Moi j’ai la ‘baraka’, et  on défend vraiment bien". On a été très compact, et ils avaient de plus en plus de mal à avoir des occasions vers la fin. Il restait un quart d’heure et je me suis dit peut-être on pourrait y arriver.

Pendant longtemps, vos adversaires considéraient un match contre le Luxembourg comme trois points assurés, avec un large différence de buts. Le regard sur votre équipe est-il en train de changer ?  Je ne sais pas si notre image a changé, mais je suis sûr et certain que tous nos adversaires pensaient qu’ils allaient gagner et qu’ils pouvaient soigner aussi le goal average. Mais maintenant le niveau se resserre de plus en plus, on le voit avec toutes les équipes. Ça devient difficile pour les gros pays de battre les petits, surtout s’ils n’arrivent pas à marquer rapidement.

Vous qui êtes en sélection depuis plus de dix ans, avez-vous vu une évolution dans votre d’aborder les matches ? Il y  a une énorme différence par rapport à il y a quelques années. Je me rappelle quand j’ai commencé en sélection, j’avais un peu peur avant chaque match. Je me disais : "Aujourd’hui, combien on va en prendre ?". On défendait beaucoup beaucoup... Contre la France, on a défendu assez bas, c’est vrai, mais en général on produit beaucoup plus de jeu. On essaie de construire, quitte à prendre des risques et concéder plus d’occasions. C’est un grand changement par rapport à dix années en arrière.

Cette nouvelle philosophie porte ses fruits, puisque vous réalisez un beau parcours dans les qualifications pour Russie 2018, avec une courte défaite en Bulgarie, un nul et une victoire contre le Belarus et ce nul en France. Êtes-vous récompensés de plusieurs années d’efforts ? Ce n’est pas que dans cette campagne, ça fait une ou deux campagnes qualificatives où on arrive à cinq ou six points. L’objectif maintenant est d’essayer de passer dans le chapeau suivant, pour avoir aussi dans chaque groupe un adversaire plus à notre portée, et essayer de remporter six points d’office. C’est l’objectif de notre fédération d’arriver au chapeau au-dessus.

Dans cette campagne de qualification, avez-vous rempli votre mission, avec les bons résultats obtenus jusqu’ici ? L’objectif est atteint : on a battu la Biélorussie, c’était un de nos objectifs, et en bonus, on a pris un point contre la France. Il reste un match en Suède qui va être très difficile, parce qu’elle joue aussi la première place du groupe, voire la deuxième. Pour le dernier match, la Bulgarie sera peut-être éliminée, donc ça peut être aussi un objectif d’aller chercher trois points.

En tant que gardien de but, vous avez dû vivre des soirées difficiles dans votre carrière… C’est sûr, il y a eu beaucoup de soirées difficiles, où je ne touchais pas beaucoup de ballons à part pour aller les chercher au fond des filets. Ce sont les pires soirées. Il y a six ou sept ballons à négocier, et j’en prends quatre ou cinq. Mais depuis que je suis arrivé en sélection - je ne dis pas que c’est grâce à moi -, je me rends compte qu’on encaisse beaucoup moins de buts, c’est déjà un pas en avant. Et les dernières années, d’autres étapes ont largement été franchies. Au début des qualifications, vous aviez décidé d’arrêter la sélection parce que vous ne vouliez pas être remplaçant. Est-ce un symbole de votre mentalité, de vouloir toujours être le meilleur, le premier ? C’est sûr. Que ce soit en club ou en sélection, j’ai toujours eu envie de tout jouer, toujours jouer. Je n’ai jamais eu envie de laisser à personne une chance de prendre ma place. Alors quand on m’a proposé d’être numéro deux, j’ai dit : "Attendez, j’ai été numéro un pendant dix ans, il est hors de question d’être remplaçant." Je n’ai jamais dit que j’arrêtais la sélection, mais simplement que je ne voulais pas venir en tant que numéro deux. Si on avait besoin de moi comme numéro un, je revenais. Et c’est ce qui s’est passé.

Finalement, Luc Holz vous a rappelé pour ces deux matches, parce que les deux gardiens habituels sont blessés. Avez-vous réfléchi avant d’accepter ? Et la décision a-t-elle accepté dans le vestiaire ? J’avais déjà pensé à ça parce que je savais que les deux gardiens étaient blessés, et on en parlait déjà dans la presse. Donc j’en avais discuté avec mes proches, et on a conclu que c’était bien de revenir. En plus comme bonus, il y avait la France, un match spécial pour moi. Mais dans l’équipe, personne ne m’en a voulu. Dans le vestiaire, tout le monde est assez mature pour comprendre qu’à un certain âge, je n’avais pas envie d’être remplaçant après avoir été titulaire pendant dix ans. Il n’y a eu aucune discussion là-dessus, aucune remarque.

Serez-vous encore dans le groupe pour les deux derniers matches ? Je suis à la disposition de l’entraîneur. C’est à lui de juger s’il veut que je joue ou pas. Moi, je lui ai fait comprendre que j’étais prêt à venir jouer.

Parmi les grands attaquants que vous avez affrontés dans votre carrière, lesquels vous ont fait la plus forte impression ? Il y en a beaucoup, mais je dirais Dimitar Berbatov. Tout ce qu’il faisait, c’était propre, c’était beau. Je trouvais que c’était un joueur complet, dans les duels de la tête, dans les face-à-face, j’ai vraiment bien aimé ce joueur.

Dans votre collection de maillots et de gants échangés avec vos adversaires, lesquels ont le plus de valeur ? J’ai les maillots de beaucoup de grands joueurs, mais en tant que gardien, j’ai les maillots de certains symboles, comme Iker Casillas, Gianluigi Buffon, Hugo Lloris, Steve Mandanda. Mais Edwin van der Sar, Buffon et Casillas sont trois gardiens mythiques. Donc leur maillot a beaucoup de valeur.

Quels gardiens vous ont inspirés et donné envie de jouer à ce poste ? En fait, je n’ai jamais été trop fan des gardiens de but ! Je jouais beaucoup dehors dans mon quartier, et j’étais toujours dans le champ. Mon idole, c’était l’Anglais Chris Waddle, de l’Olympique de Marseille. Et après, j’aimais bien Fabien Barthez, parce qu’il était gaucher comme moi, qu’il aimait bien les duels, qu’il avait un bon jeu au pied, assez complet. Mais ma première idole, c’est Waddle.

A 38 ans, considérez-vous que vous avez eu la carrière que vous méritiez, ou auriez-vous viser plus haut ? Je pense que j’aurais pu largement aller plus haut. Quand j’étais plus jeune, j’étais dans les sélections de l’équipe de France, j’avais pas mal d’offres de clubs professionnels, mais j’ai décidé de rester à Metz, où on m’avait promis certaines choses. Les choses ne se sont pas déroulées comme prévu, et j’ai peut-être aussi fait des choix de carrière qui n’étaient pas les bons. Je l’assume. Je me suis retrouvé au Luxembourg. Entretemps, j’aurais pu repartir vers le monde professionnel, mais toutes les conditions n’étaient pas réunies pour partir. Donc j’ai décidé de rester au Luxembourg.

Vous reste-t-il des rêves à accomplir ? Des rêves, non, il ne m’en reste pas, surtout après le dernier match que je viens de faire contre la France. Mais comme objectif, j’ai toujours envie de jouer le maximum de matches, de gagner le maximum de titres. Je suis recordman du nombre de matches joués en première division au Luxembourg, j’ai beaucoup de titres. Maintenant, avec notre club, on aimerait bien réussir une fois à passer le deuxième tour qualificatif de Ligue des champions, arriver dans les poules d’Europa League. C’est peut-être mon dernier objectif à mon âge.