mardi 08 mars 2016, 16:42

Slutsky, éleveuse d'éleveur de champions

Pour la plupart d’entre nous, une mère est toujours présente, dans les bons comme dans les mauvais moments. Celle de Leonid Slutsky, sélectionneur de l’équipe de Russie et entraîneur du CSKA Moscou, est encore bien plus que cela. À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, FIFA.com vous propose de découvrir son histoire.

Ludmila a perdu son mari, Viktor Slutsky, ancien boxeur professionnel et professeur de sport, victime d’un cancer du poumon alors que Leonid n’avait que six ans. Enseignante dans une école maternelle de Volgograd, elle a dû affronter seule les épreuves de la vie.

"Les temps étaient durs", reconnaît-elle dans un entretien à Welcome2018.com. "Je devais payer 120 roubles par mois pour notre appartement collectif, alors que je n’en gagnais que 95. Je touchais également une pension de veuve, qui permettait de couvrir le loyer, et nous devions subsister sur la pension de ma mère. J’avais pris l’habitude de me lever de bonne heure pour me rendre au travail à pied plutôt qu’en tramway, afin d’économiser trois kopecks, le prix d’un billet à l’époque. Trois kopecks à l’aller et trois de plus au retour, j’arrivais ainsi à économiser six kopecks par jour."

"Je travaillais jour et nuit", ajoute-t-elle. "Lorsque je suis devenue directrice de l’école maternelle, j’ai commencé à travailler dans le même temps comme femme de ménage, dans des bureaux. J’allais récurer des sols la nuit, en toute discrétion. J’avais honte de ce travail, mais je n’avais pas le choix. Nous n’avions pas assez d’argent, jamais. Nous avons pu souffler lorsque Lyonya est devenu entraîneur à l’Olimpia Volgograd."

Un grand sens de l’humour L’actuel sélectionneur russe s’est pris de passion pour le sport dès son plus âge, malgré les efforts maternels pour l’orienter vers la musique. "Je ne pense pas que son père l’ait influencé en ce qui concerne le sport", estime Ludmila. "Viktor ne l’a jamais amené à un seul entraînement de boxe. Il faut croire que le sport était tout simplement dans ses gènes. Nous l’avions inscrit dans une école de musique dans un premier temps, mais il détestait ça. Il m’a même dit un jour qu’il préférait mourir plutôt que de retourner à l’école de musique. Il a alors rejoint une équipe de football."

Gardien de but prometteur, Leonid Slutsky a vu sa carrière brisée dans l’œuf, à seulement 19 ans, après une grave blessure en tombant d’un arbre alors qu’il essayait de secourir le chat d’une voisine. "Ma mère m’a appelée pour me dire que Lyonya avait été conduit à l’hôpital", se souvient la maman. "Il était au bloc opératoire lorsque je suis arrivée. Son opération a duré deux heures. Ils ont dû reconstruire sa rotule morceau par morceau."

"Son visage… Il était méconnaissable", poursuit-elle. "Son visage était couvert d’hématomes et son nez était cassé. Mais il n’était pas question pour lui d’arrêter le sport. Il m’a tout de suite dit qu’il entraînerait s’il ne pouvait pas rejouer. Avant même d’avoir quitté le lycée, il avait commencé à mettre sur pied une équipe de jeunes. J’allais coller des petites annonces pour lui sur les lampadaires à proximité des écoles."

Leonid Slutsky a alors connu une ascension météorique, d’un groupe d’enfants à l’équipe nationale russe. Sa mère connaît mieux que quiconque les clés de son succès. "Il a un grand sens de l’humour, ce qui l’a sûrement sauvé plus d’une fois. L’ambiance est vraiment bonne en ce moment au sein de l’équipe nationale, les blagues fusent et les gens s’amusent", raconte-t-elle.

La pression du banc Mais le succès a un prix. Ludmila sait à quel point son fils est sous pression lorsque son équipe entre sur le terrain : "Il m’a confié un jour : 'Maman, lorsqu’un match démarre et que je prends place sur le banc, je n’ai envie que d’une chose, que tout ça se termine au plus vite. J’ai l’impression d’avoir sur chaque bras un poids de 50 kg que je ne peux pas soulever'."

"Je pense qu’il n’arrivera jamais à se débarrasser de ces poids, quel que soit son âge ou la durée de sa carrière", estime-t-elle. "Lyonya a vu un psychologue pendant un certain temps. Il lui a dit qu’un entraîneur ressentait pendant un match la même charge émotionnelle qu’un mineur qui aurait été enterré pendant trois jours au fond d’un puits. Quelle comparaison ! Je crois que personne ne peut imaginer une chose pareille."

Elle préfère suivre son fils depuis chez elle, devant son poste de télévision : "Je ne vais jamais voir les matches. Je n’ai jamais mis les pieds dans un stade, je ne pense pas que j’en serais capable. Lorsque je suis un match à la télévision, je coupe le son, je m’occupe des tâches ménagères et je jette un coup d’œil au score de temps à autres. Je peux être un peu susceptible les jours de match. Ma tension artérielle grimpe… Tout le monde sait qu’il vaut mieux me laisser seule ces jours-là".

On ne sait pas encore si Leonid Slutsky sera à la tête de l’équipe nationale au coup d'envoi de la Coupe du Monde de la FIFA, Russie 2018™, mais sa mère croit en ses chances : "Lorsque la Russie a obtenu l’organisation de la Coupe du Monde 2018, je lui ai dit que j’espérais vivre assez longtemps pour le voir entraîner la sélection. Je crois que ça ne lui avait pas encore traversé l’esprit à l’époque, mais ça m’a frappée sur le moment. Ce n’était même pas une pensée ou un souhait, juste une phrase qui m’est sortie de la bouche. Je sais qu’il a les qualités nécessaires pour conduire la Russie à la victoire en 2018".

"Lorsque Lyonya a été désigné Entraîneur de l’année en Premier League russe, pour la saison 2013/14, je n’avais pas l’impression d’y être pour quelque chose et je ne le sais toujours pas aujourd’hui", conclut-elle. "Mais je suis fière de mon fils et peut-être un peu fière de moi-même également. Il m’a dédié sa récompense à la télévision. C’était tellement adorable que j’en ai pleuré."