mercredi 28 avril 2021, 05:50

Ramsey, le général anglais a conquis le monde

  • Sir Alf Ramsey a mené l'Angleterre au titre mondial en 1966

  • Il aurait fêté ses 100 ans le 22 Janvier 2020

  • À l'occasion de l'anniversaire de sa disparition, le 28 avril 1999, retour sur la carrière du légendaire entraîneur

Lorsque l'Angleterre, reconnue dans le monde entier comme la patrie du football moderne, remporte pour la première fois la Coupe du Monde de la FIFA en 1966, même la flegmatique reine Elizabeth II ne peut contenir sa joie. Alors que le stade de Wembley est le théâtre de célébrations et que des scènes de liesse populaire envahissent les rues, un seul homme dans le pays semble en mesure de conserver son sang-froid. Alf Ramsey, l'entraîneur responsable de ce succès historique, se contente d'afficher un large sourire sans pour autant bouger de son banc.

Depuis, personne en Angleterre n'a oublié le pas de danse de Nobby Stiles ou les images de Bobby Moore soulevant la Coupe Jules Rimet. De même, personne n'a oublié la réserve de Ramsey, qui personnifie le calme et la dignité dans tout le pays. Le Général possédait un esprit vif pour tout ce qui touchait au football. Son intelligence tactique lui permettait de modifier son système au gré des circonstances, et sa rigueur déteignait sur les joueurs et, dans l'ensemble. En avance sur son temps, son plus grand atout était sa capacité à tirer le meilleur de ses hommes.

Merveilles sans ailes

Ramsey est nommé à la tête de l'Angleterre après avoir amené Ipswich Town de la troisième division sud au championnat national en seulement sept saisons, entre 1955 et 1962. "Nous allons remporter la Coupe du Monde." C'est avec ces mots que Ramsey prend ses fonctions de sélectionneur en 1963. Toutefois, ce natif de l'Essex ne s'est jamais senti particulièrement à son aise parmi les journalistes. Malgré tout le respect que la presse lui porte, une lourde défaite 2-5 face à la France en éliminatoires du Championnat d'Europe des nations lui vaut ses premières critiques.

Mais Ramsey, international à 32 reprises en tant qu'arrière droit de Southampton puis Tottenham, ne s'en laisse pas conter. Il refuse de renoncer à son grand projet : une équipe sans ailier, un poste pourtant mondialement associé au football anglais. Il met en place un système inédit en 4-4-2, ce qui vaudra à son équipe le surnom de wingless wonders (les merveilles sans ailes).

Lles joueurs, eux, ont toujours maintenu leur confiance à Ramsey. "C'était réciproque", explique le tenace Stiles, qui, après un tacle très appuyé sur le meneur de jeu français Jacques Simon lors de la victoire 2-0 de l'Angleterre, avait vu la presse se déchaîner contre lui. Malgré les efforts de ceux qui auraient voulu le voir exclu de l'équipe pour les quarts de finale, son sélectionneur le soutiendra jusqu'au bout. "Il faisait montre d'une telle loyauté envers ses joueurs qu'on aurait marché sur l'eau pour lui."

"Et je ne parle pas seulement des joueurs. Tous ceux qui faisaient partie de cette équipe donnaient le meilleur d'eux-mêmes pour Alf. Avant le match contre l'Argentine, j'étais aux toilettes en train de mettre mes verres de contact lorsque Harold Shepherdson, l'assistant de Ramsey, entre dans la pièce. Il me saisit à la gorge, me pousse contre le mur et il me dit : 'Ne t'avise pas de laisser tomber Alf'."

Une place dans l'histoire

En dépit des promesses de Ramsey, rares étaient les experts à prédire une victoire de l'Angleterre, même devant son public. Seize ans plus tôt, l'Angleterre subissait une défaite humiliante face aux Etats-Unis au Brésil. Pour sa dernière sélection trois ans plus tard, Ramsey participe au naufrage de son équipe à Wembley face à la grande Hongrie (3-6). En Suisse (1954), en Suède (1958) et au Chili (1962), l'Angleterre ne dépasse pas les quarts de finale. A priori, il n'y avait aucune raison de penser que les Anglais seraient à même de détrôner le Brésil de Pelé...

Les hôtes débutent le tournoi par un nul (0-0) face à l'Uruguay et enchaînent avec une victoire peu convaincante contre le Mexique (2-0). Un nouveau succès sur le même score face à la France redonne des couleurs à l'Angleterre avant d'affronter l'Argentine au tour suivant. Dans un match tendu, à l'issue duquel Ramsey traitera les Argentins "d'animaux", les Anglais s'imposent sur la plus petite des marges. Dès lors, toute une nation se prend à rêver de succès.

A ce stade, avec un Gordon Banks en pleine forme dans le but et un Bobby Moore impérial en défense, les hommes de Ramsey n'ont pas encore concédé le moindre but. Le Portugais Eusebio sera le premier à faire trembler les filets anglais, sur penalty, à huit minutes du coup de sifflet final. Mais cet exploit viendra beaucoup trop tard puisqu'à cet instant, Bobby Charlton avait déjà marqué deux fois. Avec cette victoire 2-1, l'Angleterre atteint la finale, où elle retrouve l'Allemagne de l'Ouest, une équipe contre laquelle elle n'a encore jamais perdu.

Même si l'Angleterre conserve son invincibilité face à l'Allemagne, l'épilogue de cette Coupe du Monde de la FIFA 1966 n'en est pas moins plein de rebondissement : les Allemands qui égalisent à la dernière seconde, le troisième but anglais très contesté, le coup du chapeau de Geoff Hurst, et enfin la délivrance. Tout cela, sous le regard impassible de Ramsey. Hurst, le héros du match, se souvient comment Ramsey avait su motiver ses troupes avant la prolongation : "Alf n'élevait jamais la voix, mais il savait se montrer convaincant."

Descente aux enfers

Un an plus tard, Ramsey devient Sir Alf et l'Angleterre continue d'accumuler les succès. L'équipe choisie par Ramsey pour défendre son titre au Mexique en 1970 semble encore meilleure que celle qui avait enthousiasmé l'Angleterre quatre ans plus tôt. De plus, Ramsey possédait cette capacité à trouver d'instinct les mots justes pour tirer le meilleur de ses joueurs. En plus de ce don pour la psychologie, le sélectionneur étendait son influence dans les moindres détails, y compris l'organisation des voyages, la composition des menus ou les programmes de remise en forme. A l'approche de la compétition mexicaine, son emprise sur la sélection est quasi-totale. "Alf avait vraiment tout prévu avant de se rendre au Mexique", se souvient Stiles. "Aujourd'hui, ses méthodes sembleraient obsolètes mais, à l'époque, elles étaient révolutionnaires. Rien ne lui échappait."

Mais les champions du monde en titre vont subir une série d'incidents qui mettront les talents de Ramsey à rude épreuve. C'est tout d'abord son capitaine Bobby Moore qui est arrêté par erreur, accusé d'avoir volé un collier dans un hôtel colombien. Puis, à quelques jours de la revanche contre la R.F.A. en quart de finale, c'est Gordon Banks, au sommet de son art après un arrêt d'anthologie devant Pelé, qui tombe malade.

Ce quart de finale sera un tournant dans le règne de Ramsey. Peter Bonetti, le remplaçant de Banks, commet une erreur qui permet aux Allemands de revenir à 2-1 en seconde mi-temps. A ce moment, Ramsey prend la décision de sortir Bobby Charlton. Quelques minutes plus tard, la R.F.A. égalise et la réputation de Ramsey part en miettes. Finalement, Gerd Müller donne la victoire à son équipe dans la seconde moitié de la prolongation et l'Angleterre quitte la compétition.

Lorsque l'Angleterre, après un match nul à domicile face à la Pologne, manque la qualification pour la Coupe du Monde de la FIFA, Allemagne 74, les exploits passés de Ramsey ne trouvent plus grâce aux yeux de personne. Remercié à l'issue de la rencontre, il met un terme à 12 ans de présence à la tête de l'équipe nationale. Au cours de cette période, il aura remporté 69 victoires pour 27 matches nuls et 17 défaites. "C'était sans doute la pire demi-heure de toute ma vie," reconnaissait-il en évoquant son limogeage. "Je me suis retrouvé dans une pièce pleine de bureaucrates qui me regardaient fixement. J'avais l'impression qu'il s'agissait d'un procès et qu'on allait me pendre."

Pourtant, la popularité de ce fils de fermier ne s'est jamais démentie. Lors de chaque édition depuis 1966, l'Angleterre se demande toujours si elle connaîtra à nouveau la gloire que lui a amenée Ramsey...

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