vendredi 17 juillet 2020, 12:00

Romario : "Nous étions une génération de gagnants"

  • Romario a été l’un des grands artisans du sacre brésilien à États-Unis 1994

  • Bien qu’il ne tirait jamais de penalty, il a pris part à la séance de tirs au but

  • "L'heure était venue pour moi de prouver ma maturité", nous confiait-il

À l'occasion de l'anniversaire de la finale de la Coupe du Monde de la FIFA, États-Unis 1994 qui a vu le sacre du Brésil aux dépens de l'Italie, FIFA.com vous propose de redécouvrir l'interview que nous avait accordé Tomario, grand artisan du sacre mondial.

"Non, je ne rappellerai pas Romario", avait acté Carlos Alberto Parreira. Et le sélectionneur du Brésil avait tenu sa promesse à l’heure de dévoiler sa liste pour le match de qualification pour la Coupe du Monde de la FIFA, Etats-Unis 1994 face à l’Uruguay. L’enjeu est énorme : une place pour le Mondial. Mais une cascade de blessés frappe soudainement la Seleçao, Parreira se résout non seulement à convoquer O Baixinho ("le petit"), mais à l’aligner dans le onze de départ…

A l’arrivée, Romario inscrit un doublé et envoie les Auriverdes aux USA. Dès lors, il ne se défait plus de son statut de titulaire et devient l’un des grands artisans du sacre mondial du Brésil quelques mois plus tard.

Au cœur d'une formation solide et organisée, Romario a apporté la touche de folie et de génie qui a permis au Brésil de coiffer sa quatrième couronne mondiale. Au micro de FIFA.com, il partage ce souvenir mémorable.

Romario, quel est votre premier souvenir d'enfant de la Coupe du Monde de la FIFA ?

Je me souviens un peu de la Coupe du Monde en Espagne, en 1982. Le Brésil a remporté l'édition 1970, alors que j'étais âgé de quatre ans, mais je n'ai pour souvenir de cette victoire que les reportages que j'ai vus plus tard à la télévision. En 1982, lorsque j'ai débuté dans un club - Olaria, aujourd'hui en deuxième division - j'ai commencé à voir la Coupe du Monde différemment.

Quelle a été la signification personnelle et professionnelle de chacune des deux Coupes du Monde de la FIFA que vous avez disputées ?

J'ai cessé d'être une personne ordinaire. A partir du moment où j'ai joué une Coupe du Monde, j'ai été plus attentif à des choses qui, auparavant, ne m'inquiétaient pas. C'est comme cela que je suis devenu Romario, une personnalité publique. J'ai participé à la Coupe du Monde en 1990, c'était un grand honneur. Mais d'un point de vue personnel, ce n'était pas très positif car je n'avais joué que 65 minutes contre l'Ecosse et 45 minutes contre l'Irlande. Je n'avais eu, pour ainsi dire, qu'un avant-goût de la Coupe du Monde. L'année 1994 a été sans conteste la plus belle de ma vie d'un point de vue professionnel. J'ai eu le privilège de disputer les sept matches, et ai eu le sentiment très agréable d'avoir servi à quelque chose. Le public brésilien prend le football très au sérieux et à ce moment-là, vingt-quatre ans après notre dernier titre, nous avions besoin de remporter une Coupe du Monde. Nous l'avons fait et avons pu voir sur le visage de nos compatriotes une joie qui n'existait pas auparavant, surtout chez les jeunes qui n'avaient jamais vu le Brésil sacré.

Le match contre les Pays-Bas a été le cadre de la fameuse célébration de Bebeto pour fêter son but. Racontez-nous...

Ce fut un match unique pour Bebeto. Sa femme venait juste de mettre un fils au monde. Cette façon de célébrer son but a été très attachante. Il l'a inventée sur le moment : lorsqu'il a marqué il a commencé à mimer le bercement du bébé dans ses bras. Mazinho, qui était à côté de lui, l'a rejoint et moi qui n'étais pas loin non plus ai fait pareil. Nous avons repris ce geste tous ensemble. Ç'est une des images fortes de cette Coupe du Monde.

A quel moment de la compétition avez-vous été convaincu que le Brésil allait devenir champion du monde ?

J'ai toujours été convaincu que le Brésil allait devenir champion du monde. Personnellement, je n'avais jamais été aussi bien de ma vie et disposais, avec Bebeto, d'un partenaire parfait en attaque. Notre milieu de terrain était composé de joueurs non pas très techniques, mais sagaces et faisant très bien leur boulot. Notre défense ne prenait pas beaucoup de buts. Enfin, notre gardien, Taffarel, était selon moi l'un des meilleurs du monde. Il y avait aussi d'excellents remplaçants, des joueurs capables d'être aussi bons voire meilleurs que les titulaires. Pour toutes ces raisons, je savais que nous allions gagner le titre. La preuve, c'est que dans toutes les interviews que j'avais données au Brésil avant la compétition, je disais que cette Coupe du Monde allait être celle du Brésil et, avec l'aide de Dieu, la mienne. Tout cela est arrivé.

Vous avez marqué de la tête le seul but de la demi-finale contre la Suède. Quels sont vos souvenirs ?

Quand on y pense, ce but est incroyable. Avec mon mètre soixante-dix-huit, je marque de la tête entre des Suédois, qui étaient célèbres pour leur taille moyenne située entre 1,83 et 1,84 m. C'est assez inhabituel dans le football, d'autant plus en Coupe du Monde et surtout en demi-finale...

Vous vous entendiez très bien avec Bebeto. Comment la mayonnaise a-t-elle pris ?

Nous jouions ensemble depuis les Jeux Olympiques de 1988 à Séoul et nous avions aussi évolué côte à côte dans d'autres compétitions. Nous nous entendions si bien que, lorsque l'équipe travaillait la tactique, nous ne participions pas trop mais nous entraînions à part. Bebeto était un joueur extrêmement intelligent. Il m'aidait beaucoup dans mes mouvements offensifs, c'était la base de notre entente parfaite.

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Parlons de cette finale contre l'Italie, qui était un remake de celle de 1970. Carlos Alberto Parreira a relaté que vous vous êtes porté volontaire quand il a choisi les tireurs lors de la finale.

Jusqu'à ce match, je n'avais peut-être tiré que deux penalties dans ma vie. Il y avait cinq joueurs dans la Seleção qui s'y entraînaient toujours. Mais le moment venu, j'ai senti que c'était mon devoir, que l'heure était venue pour moi de prouver ma maturité, ma capacité à relever les défis. Je me suis porté volontaire et j'ai eu la chance que Parreira accepte. J'ai donc marqué l'un des penalties qui ont aidé le Brésil à décrocher ce titre très fort symboliquement.

À quoi pense un joueur quand il quitte le rond central pour rejoindre le point de penalty ?

Pour moi, ça dépend beaucoup du moment, de la compétition, du match. Cette fois-là, je n'avais jamais été aussi concentré de ma vie. J'ai fait environ 50 pas et en marchant, plusieurs pensées m'ont traversé l'esprit : mon enfance, mes parents, mes amis et l'importance de gagner ce titre pour le peuple brésilien. Quand j'ai pris le ballon et l'ai placé sur le point de penalty, toutes ces pensées tourbillonnaient dans ma tête. C'était une énorme responsabilité que de devoir taper dans ce bout de cuir, d'être responsable de la joie ou de la tristesse d'un pays.

Avant la finale, qu'avez-vous songé quand vous avez vu le trophée exposé près du terrain ?

Pour être franc, quand le match a commencé, je ne l'ai pas vu car j'étais trop concentré. Mais vers la fin, j'y ai jeté un coup d'œil et quelque chose m'a dit qu'il n'attendait qu'à être brandi par le Brésil.

Qu'avez-vous ressenti aux côtés de Dunga quand il a brandi le trophée en l'air ?

Il n'y a rien de comparable, c'est un moment magique dans une vie. Je ne sais pas si c'est Dunga ou Branco qui a dit : "Reste ici, quand je prendrai le Trophée, prends-le aussi avec moi". Il n'est pas possible de décrire cet instant avec des mots. C'est fantastique, enivrant, incomparable ! Seuls ceux qui soulèvent le Trophée, qui ont vécu ce moment, connaissent cette sensation. Je rends grâce à Dieu de m'avoir donné ce plaisir.

Pouvez-vous nous relater ce qui s'est passé lorsque vous avez rapporté la Coupe aux vestiaires ?

J'ai dû prendre quelque 3 000 photos avec, puis l'embrasser et la serrer dans mes bras tout autant. Chacun de nous a fait de même.

Vous avez bénéficié d'un accueil fantastique à votre retour au Brésil...

J'ai vu les rues du Brésil pleines de gens en transe. Pour un pays opprimé, ça faisait l'effet d'une assiette de nourriture que l'on donne à une personne affamée. J'ai vu la joie éclater sur les visages des gens, pendant quelques instants au moins. Ces images resteront gravées à jamais dans mon cœur. C'était la réussite d'une génération, notre génération, qui était la cible de toutes les critiques, qui avait traversé tant d'épreuves. Montrer au monde entier que nous étions une génération de gagnants, c'était le fruit de tout le parcours que nous avions effectué. Maintenant, ça fait partie de ma vie.