mardi 22 septembre 2020, 10:51

Taffarel : "Fier d’avoir gagné la Coupe du Monde pour Senna"

  • Claudio Taffarel fête ses 55 ans ce 8 mai 2021

  • FIFA.com vous propose de retrouver l'interview qu'il nous avait accordée en août dernier.

  • Taffarel évoque Italie 1990, USA 1994 et France 1998

Un jour, un journaliste demande à Romario : "Existe-t-il une épreuve plus difficile pour un footballeur qu'une séance de tirs au but ?" "Pour certains, peut-être pas. Mais quand on la chance d’avoir Taffarel dans son but, c’est à peu près aussi stressant qu’une partie entre amis à la plage", lui répond l'attaquant dans un clin d’œil.

Effectivement, le portier brésilien s’est taillé une solide réputation dans cet exercice. En demi-finale du Tournoi Olympique de Football masculin, Séoul 1988, il repousse trois tentatives allemandes. Dix ans plus tard, il s’interpose à deux reprises devant les Pays-Bas, dans le dernier carré de la Coupe du Monde de la FIFA, France 1998™.

Mais l’ancien gardien de but international, aujourd'hui âgé de 54 ans, va connaître son moment de gloire au Rose Bowl, devant 94 000 spectateurs. Le portier d’1m82 fait basculer le sort de la finale d'États-Unis 1994 en plongeant du bon côté sur la tentative de Daniele Massaro. Peut-être faut-il aussi attribuer les échecs de Franco Baresi et Roberto Baggio à sa réputation de spécialiste des penalties.

Dans la deuxième partie de son entretien avec FIFA.com, Claudio Taffarel évoque le triomphe du Brésil en 1994, sa joie de voir Carlos Alberto Parreira rappeler Romario, les problèmes rencontrés pendant Italie 1990 et France 1998, un prodige de 17 ans nommé Ronaldo et son propre statut d’icône.

Claudio, après Italie 1990, le Brésil essuie une pluie de critiques. Pourtant, vous aviez remporté vos trois premiers matches et largement dominé l’Argentine en huitième de finale. Avec le recul, quel bilan tirez-vous du parcours de la Seleçao ?

Tous ceux qui étaient là en 1990 nourrissent d’énormes regrets. Nous avions le meilleur effectif au monde à cette époque. Nous avions tellement de grands joueurs... Même sur le banc, il n'y avait que des stars. En attaque, nous avions Careca et Muller, mais sur le banc, on trouvait Renato Gaucho, Romario et Bebeto. Nous avions énormément de qualité, à tous les postes. Malheureusement, il y a eu des disputes à l’entraînement et d’autres problèmes. L'harmonie nous a fait défaut. Sur le terrain, chacun jouait pour lui-même. Nous étions plus soucieux de faire le spectacle que de gagner. C’est un état d’esprit qui nous a coûté cher. Franchement, nous aurions dû gagner cette Coupe du Monde. Nous étions bien meilleurs que les Argentins, mais nous avons perdu. Ils n'ont eu qu’une seule occasion, sur un coup de génie de Maradona, et ils ont marqué. Nous en avons eu une vingtaine, mais nous avons tout raté. C’est le jeu. Néanmoins, il n’y a aucun doute dans mon esprit : si nous avons perdu, nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous-mêmes.

Carlos Alberto Parreira a écarté Romario pendant les qualifications pour États-Unis 1994, avant de se résoudre à le convoquer en raison d’une cascade de blessures. Qu'en pensiez-vous ?

Tous les membres de l’équipe, tous les Brésiliens et moi-même, nous ne voulions qu’une chose : qu’il revienne ! Nous avions besoin d’une forte personnalité, c’était évident. En plus, il était redoutable dans le dernier geste. Il n’avait pas peur de prendre ses responsabilités et quand nous avions besoin de lui, il répondait toujours présent. Heureusement, Parreira a fini par le rappeler à la dernière minute. Romario est arrivé avec tout l’optimisme et la confiance que nous lui connaissions. Il a débuté et il a joué un rôle essentiel dans notre qualification. Il a livré un match énorme. C’est l’une des meilleures performances individuelles auxquelles j’ai assisté en tant qu’international. Je suis fier d’avoir gagné cette Coupe du Monde. Dieu merci, Parreira a fini par changer d’avis !

Pouvez-vous nous parler du dîner organisé entre la Seleçao et Ayrton Senna, avant un match amical contre le Paris Saint-Germain ?

C’est un souvenir que je n’oublierai jamais. Au Brésil, tout le monde adorait Ayrton Senna. C’était un patriote, un grand sportif et une personne très attachante. Nous voulions offrir au Brésil une quatrième couronne mondiale, tandis que Senna tentait de devenir champion du monde de Formule 1 pour la quatrième fois. Franchement, je n’ai aucun souvenir du match contre le Paris Saint-Germain ; la seule chose dont je me rappelle, c’est d’avoir rencontré Senna ! J’ai découvert quelqu’un de très sympathique et, en même temps, d’unique en son genre. Il était à la fois charismatique et humble. Quand il est arrivé à notre hôtel, il ne s’est pas affiché, il n’y avait personne pour assurer sa sécurité. On aurait dit une personne ordinaire. Curieusement, il était persuadé que le Brésil allait fêter un titre mondial, mais il ne savait pas si ce serait grâce à lui ou à nous. Ses paroles nous ont profondément marqués. Notre état d’esprit en 1994, nous le devons à Ayrton. Son accident a touché énormément de monde au Brésil. Quand nous avons appris sa mort, nous nous sommes promis de gagner cette Coupe du Monde pour lui. Nous avons tenu parole et nous lui avons rendu hommage en déployant une banderole après la finale : Senna aceleramos juntos ("Senna, nous avons accéléré ensemble"). Je suis fier d’avoir gagné cette Coupe du Monde pour lui.

Au moment de disputer la Coupe du Monde, vous étiez sans club. Comment avez-vous vécu cette situation ?

J’étais au chômage avant la Coupe du Monde et ma situation n’a pas changé après notre victoire. J’avais quitté la Reggiana et j’étais donc sans club. Je jouais tout de même un peu, dans l’équipe de ma paroisse. Nous avions participé à un tournoi. J’étais attaquant et j’ai fini meilleur buteur, nous avions gagné le titre ! (rire) Après la Coupe du Monde, j’ai encore attendu six mois avant de rejoindre l’Atletico Mineiro.

Quel adversaire vous a donné le plus de fil à retordre en 1994 ?

Tous les matches étaient difficiles. L’Italie avait une belle équipe. Nous avons aussi beaucoup souffert face aux États-Unis. La Suède, qui ne fait pourtant pas partie des candidats au titre habituels, a aussi réussi de bonnes choses. Nous avons affronté les Suédois deux fois : nous avons fait match nul, puis nous avons gagné 1-0. Mais je pense tout de même que les Pays-Bas étaient les plus forts. Nous avons gagné 3-2. C’était un très beau match, mais nous avons dû puiser dans nos réserves pour l'emporter.

Qu’avez-vous ressenti en devenant champion du monde ?

C’était un moment extraordinaire, mais un peu étrange, aussi. Alors que je me préparais à arrêter le penalty de Baggio, j’ai eu la certitude que cette Coupe du Monde allait s’arrêter à ce moment précis. Si Baggio avait marqué, Bebeto pouvait encore nous donner la victoire en transformant sa tentative. Je ne savais pas si j’allais l’arrêter ou s’il allait rater, mais je savais que personne ne passerait après lui. C’était bizarre. Il y a une très belle photo sur laquelle on voit Baggio la tête basse, désespéré, alors que je suis à genoux, euphorique. C’est le football : le malheur des uns fait toujours le bonheur des autres.

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Ronaldo avait 17 ans à l’époque. Quel joueur était-il ?

C’était déjà un farceur. Il était très, très jeune, mais il n’était pas du tout timide. Il était toujours en train de faire des bêtises. Il était heureux, tout simplement. Nous savions qu’il ne pouvait pas jouer un grand match. Il n’était pas prêt, il n’avait pas la maturité nécessaire. Mais l’expérience qu'il a vécue en 1994 au sein de ce groupe et cette victoire l’ont aidé à devenir un attaquant de légende. Ce que nous avons vécu ensemble a contribué à ses succès et à ceux du Brésil. Son évolution au cours des années suivantes est tout simplement incroyable. En 1995, il avait déjà énormément changé : il était plus fort, mieux préparé, plus confiant et plus efficace. C’était une bonne chose de l’avoir avec nous en 1994. Il nous a apporté sa joie de vivre.

En demi-finale de France 1998, le jour où vous êtes devenu le premier Brésilien à honorer 100 sélections, vous êtes parti du bon côté sur les quatre tirs au but néerlandais et vous avez repoussé deux tentatives. Quels souvenirs en gardez-vous ?

Un magnifique souvenir ! J’aurais voulu que la Coupe du Monde s’arrête là. J’aurais été un héros. (rires) Encore une fois, les Pays-Bas se sont retrouvés sur notre route. Malheureusement, les Néerlandais n'ont jamais eu un palmarès à la hauteur de leur talent. Encore une fois, ils avaient une grande équipe. Le match était très équilibré. Tout s’est joué aux tirs au but et nous avons gagné. J’essaye toujours d’oublier la finale, mais cette demi-finale fait partie de mes meilleurs souvenirs de footballeur. C’était une journée magique.

Et la finale ?

C’était tragique, au contraire. La défaite fait partie du jeu, mais pour une équipe comme le Brésil, un pays où le football occupe une place très importante, il était impensable de perdre 3-0 contre la France en finale de la Coupe du Monde. C’était dur. Nous n’aimons pas parler de ce qui est arrivé à Ronaldo, mais ça nous a énormément affectés. L’ambiance, la concentration, la confiance n’étaient plus les mêmes. Il a fallu que ça arrive le jour de la finale. Mais ça n’enlève rien au succès de la France. Les Français avaient une grande équipe. Après des débuts laborieux, les Bleus ont trouvé leur rythme et ils n'ont pas volé ce titre.