samedi 30 juin 2018, 06:40

Tournon, la dernière page

  • Philippe Tournon, chef de presse des Bleus depuis 1983

  • Il prendra sa retraite après la Coupe du Monde 2018

  • "Tu as le savoir-faire, ils ont le faire-savoir", dit-il souvent aux joueurs​

Par Adrien Gingold, avec la France

Lorsque Philippe Tournon a commencé à travailler avec l’équipe de France, aucun des joueurs présents en Russie n’était né. Et si vous n’avez peut-être jamais entendu parler de lui, l’homme aux 334 sélections est un personnage incontournable de l'équipe de France depuis 1983. Entretien avec le chef de presse des Bleus.

"Mon travail consiste faire le tampon entre deux populations de moins en moins portées l’une vers l’autre : les joueurs et les médias. Il s’est créé au fil des années un écart entre eux : les joueurs deviennent inaccessibles, pour eux les médias sont des critiques qui les notent et les dévaluent. Pour autant, les uns ont besoin des autres. Je dis souvent aux joueurs : tu as le savoir-faire, ils ont le faire-savoir".

Et Tournon, lui, a le sens de la formule. Avec sa carrure imposante, lunettes sur le nez, il jongle d'une main experte et ferme avec les caméras, les micros, les minutes octroyées au compte-goutte et les sollicitations des journalistes. Un véritable chef d’orchestre.

Le public veut en savoir toujours plus et l’omniprésence des réseaux sociaux a renforcé ce besoin d’entrer dans la vie de nos idoles.

D’ailleurs, le métier évolue vite et l’Eléphant Bleu n’a pas envie de faire le match de trop : "Après la Russie, je prends ma retraite. Je l’ai bien mérité ! Je vais avoir 75 ans, il faut des visages nouveaux, un langage nouveau. J’estime que j’ai bien servi et gagné le droit de me reposer !". Avant de glisser avec un sourire : "Bon, je vais peut-être écrire un livre ou deux".

Et continuer à regarder le foot ! Encore émerveillé de la chance qu’il a eue de "passer sa vie à 10 mètres des meilleurs joueurs du monde", cet éternel amoureux du football s’avoue impressionné par l’évolution du football à la télévision "avec ses dizaines de caméras, ses spidercams, la goal-line technology, l’assistance vidéo, c’est passionnant !".

Et qu'est-ce que l'approche de la retraite change ? "Rien dans ma manière de travailler. Oh bon un peu de nostalgie, forcément !". Les yeux pétillent : "Quand on a quitté Clairefontaine, j’ai demandé à un ami de me faire une photo. Pareil au Stade de France. Il y a forcément une séquence émotion, quand j’étais gamin je n’aurais jamais imaginé tout ça, j’ai une chance énorme".

Qu'aurait fait M. Tournon s'il n’avait pas fait carrière dans le football ? "J’avais envisagé d’être maître d’hôtel. j’aime bien le contact avec les gens". Puis, pensif : "ça se rejoint quelque part, il y a des interfaces !".

Son meilleur souvenir reste bien sûr l’enchainement Coupe du Monde de la FIFA 1998 et UEFA EURO 2000, cette génération incroyable qui réalisa le premier doublé de l’histoire, "deux années exceptionnelles, peut-être un peu trop même ! On s’est vu trop beau, ça explique sans doute notre échec rapide en 2002".

Et le pire ? 1993 et ce match tragique contre la Bulgarie. Il ne se l’explique toujours pas "On était quasi qualifiés pour la Coupe du Monde 94 aux États-Unis, on venait de prendre 13 points sur 14, il nous restait 2 matches à la maison, 1 seul point à prendre… et on se fait battre deux fois. Cette soirée contre la Bulgarie, un cauchemar total. J’étais groggy, KO debout. Je n’ai toujours pas compris ce qu’il s’était passé. Panne de courant. Ça reste un traumatisme".

Puis, au bout de quelques secondes, il revient en 2018 : "Mais bon, heureusement qu’il y a ces moments-là dans le football, ça fait partie de la poésie !", conclut celui qui espère en Russie rallonger le plus possible la fin de son histoire avec les Bleus, alors qu'un chapitre à suspense contre l'Argentine va s'écrire ce 30 juin.