mardi 09 mars 2021, 07:29

Djorkaeff : "Nous étions programmés pour gagner"

À l'occasion de l'anniversaire de Youri Djorkareff le 9 mars, FIFA.com vous propose de retrouver l'interview que l'ancien attaquant des Bleus nous avait accordée pour évoquer le sacre de 1998.

Youri, est-il exact que, petit, vous aviez écrit dans un devoir scolaire : "Quand je serai grand je jouerai une finale de Coupe du Monde" ?

Oui, j'avais dix ans. Sur le thème "Que voulez-vous faire quand vous serez grand ?" - j'ai écrit que je serai joueur de foot, jouerai au New York Cosmos, et gagnerai la Coupe du Monde. J'ai retrouvé cette rédaction en 1998 grâce à mon institutrice qui l'avait conservée, car elle avait jugé ce texte utopique, mais plein de détermination !

Quelle a été l'influence de la carrière de votre père dans votre vocation de footballeur ?

Sa plus grande influence a été de me laisser faire mon apprentissage tout seul. Il ne m'a jamais forcé à rentrer dans ce milieu. Mais une fois dedans, il m'a aidé à faire les bons choix et à avoir une vraie approche du métier. Nous n'avons du reste jamais eu de conflit parce qu'il m'a laissé m'épanouir.

D'où vient votre surnom de Snake (serpent) ?

De mes débuts en première division, à Monaco. Lors des séances d'entraînement je demandais au dernier remplaçant, Marc Delaroche, d'aller dans la cage. Et pendant une heure je frappais ! Il me disait toujours : "Ce sont des frappes de serpent. On ne sait jamais où va la balle". C'est devenu "les frappes du Snake", ça m'est resté.

Quel était votre poste favori ?

Sur le terrain, au milieu des dix autres, c'est là que je prends le plus de plaisir. Je pense que l'étiquette qui m'allait le mieux, c'était "décisif". J'ai connu plusieurs clubs, eu de grands entraîneurs et n'ai jamais eu de problème. Pour la position, c'était un autre débat dans lequel je ne voulais pas rentrer, ce qui a fait enfler la légende. Cela ne dépendait pas que de moi, il fallait aussi que les autres joueurs adhèrent à cela, mais il n'y a jamais eu de difficulté.

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Avant France 1998, beaucoup disaient "Djorkaeff- Zidane, ça ne va pas coller ensemble". En avez-vous discuté avec Zidane ?

Non, parce que ça collait. Quand tout va bien, ça ne sert à rien de discuter. Dans l'équipe de France, tout le monde était conscient qu'on s'entendait bien et l'entraîneur a tout fait justement pour mettre en place un système autour de nous.

C'est un peu comme avec les duos brésiliens, Bebeto-Romario, Rivaldo-Ronaldo. Partez-vous du principe que les grands joueurs se trouvent toujours sur un terrain ?

Assurément. C'est beaucoup plus facile de jouer avec des grands joueurs qu'avec des gens moyens. J'ai été servi et c'est pour cela que j'ai fait une grande carrière.

Peut-on dire qu'un bloc - plutôt que des individualités - a gagné cette Coupe du Monde de la FIFA 1998 ?

Les deux. Une Coupe du Monde, ça ne tient à rien, surtout quand on arrive dans le dernier carré. La France était l'équipe la plus intelligente, disposant d'une palette de tactiques offensives et défensives, et capable, en dix minutes, de réagir à une situation donnée. Nous pratiquions tous les footballs, anglosaxon, latin, sud-américain, sans attendre la mi-temps pour changer. Le grand talent d'Aimé Jacquet est précisément d'avoir bâti une équipe, dès sa prise en mains, en 1993. Après l'EURO 1996, son noyau était créé, qu'il a ensuite peaufiné jusqu'en 1998. Aujourd'hui, nous sommes tous amis : c'est rare dans le football.

Était-ce la victoire de la complicité des joueurs et de leur entente avec un entraîneur assez intelligent pour les laisser s'exprimer sur le terrain ?

Oui, tout à fait, de plus les 15 ou 16 titulaires jouaient dans de grands clubs étrangers où ils avaient un rôle important. C'était le premier exode des Français, si l'on peut dire. Zidane et Deschamps à la Juventus, Desailly à l'AC Milan...

L'une de vos tâches était de tirer les penalties : pour tous les matches ou uniquement contre le Danemark ?

Pratiquement pour tous les matches. C'était Zidane ou moi. S'il voyait que je me sentais, il me le laissait et inversement. L'équipe fonctionnait au feeling ; nous n'avions pas besoin de communiquer énormément sur le terrain. Un coup d'œil de Deschamps, de Laurent Blanc, de Marcel Desailly, de Petit, et on se comprenait.

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À quel moment avez-vous senti que ce groupe pouvait aller jusqu'au bout ?

Il n'y a pas eu de moment précis. J'ai plutôt l'impression que nous avons été programmés, pas simplement pour participer ou jouer, mais pour gagner la Coupe du Monde. Après deux ans de travail, tu te retrouves en finale, sans qu'il y ait eu vraiment d'étapes, et tu sais ce qu'il te reste à faire.

Le moment le plus délicat pour vous a-t-il été la séance de tirs au but contre l'Italie ?

Oui, car je jouais à l'Inter Milan depuis deux ans, où, même à l'entraînement, Pagliuca était un peu ma bête noire sur les penalties ; il avait un avantage sur moi ce jour-là. En outre à ce moment-là, j'étais touché et devais récupérer. Lizarazu m'a dit "pas de problème, je le sens bien". Je n'ai pas tiré, mais nous sommes passés.

Pour la demi-finale, vous avez l'occasion de marquer un but. Au lieu de cela, vous faites la passe décisive à Thuram...

Après une mauvaise première mi-temps on s'est fait secouer dans les vestiaires. Les Croates ré-attaquent le match et marquent tout de suite ; ça nous a libérés. Je me retrouve à l'entrée des 18 mètres, et je vois un truc un peu "noir et bleu" qui passe très vite devant moi : "Thuram ! Mais qu'est ce qu'il fait là ?" Je lui mets le ballon entre deux défenseurs, il se retrouve devant le gardien et marque. C'était extraordinaire, à partir de ce but-là, on savait qu'on allait passer.

En finale, même chose, toujours au feeling, vous tirez le corner...

Bien sûr, il y a des règles définies : normalement, Zidane tire les corners. Mais dans une équipe comme celle de 1998, avec des joueurs complémentaires, l'entraîneur laisse une certaine liberté qui permet, à un moment donné, de prendre ce type de responsabilités. Je peux tirer dans la terre, ça fait contre-attaque, et on peut prendre un but, mais je me lance en connaissance de cause. Zidane avait marqué déjà de la tête, on sentait qu'il était bien, donc j'ai tiré le corner.

Ensuite, vous ne bougez plus, puis vous écroulez et Zidane est l'un des premiers à venir vous chercher. Que ressentez-vous à ce moment là ?

J'espère que cela va continuer, parce qu'on prend tellement de plaisir dans ce match-là ! J'ai joué des finales de Coupe d'Europe, de Coupe de France, mais c'est inouï de ressentir ce plaisir technique, avec 2-0, en première mi-temps de finale de Coupe du Monde ! On se régalait, on pratiquait un football de fous ! Cela pouvait continuer encore deux, trois heures !

Est-ce l'aboutissement de deux mois de travail en groupe, un moment de complicité extrême ?

L'aboutissement d'une vie. Quand tu commences ce métier-là, le but ultime est la finale de la Coupe du Monde. La jouer, avec de supers joueurs, des copains et la gagner ensemble, c'est indescriptible ! Même si demain l'équipe de France remporte d'autres Coupes du Monde, celle-là gardera sans doute une saveur particulière.

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Avez-vous instantanément réalisé au coup de sifflet final que c'était terminé ?

Quand l'arbitre a sifflé, je crois que j'avais dans la tête les images de 1974, 1978, je me souvenais aussi de Pelé, de Maradona et de bien d'autres et j'ai pensé : "toi aussi tu vas aller le toucher ce trophée, aujourd'hui c'est toi qui vas le lever !"

Avez-vous parlé à Ronaldo ?

Oui, c'est mon grand copain, je suis allé le voir, non pas pour le réconforter - dans ces moments-là il n'y a rien à dire - mais pour lui dire que nous étions heureux d'avoir joué contre un grand Brésil et qu'il était assez jeune pour jouer d'autres finales. Je ne me suis pas trompé ! J'ai aimé cette finale, elle était propre, correcte ; même à 3-0 on a gardé beaucoup d'humilité.

Quelle émotion avez-vous ressentie quand vous êtes allé chercher ce trophée ?

On sentait que plus on tarderait à aller chercher le trophée dans la tribune officielle, plus on aurait de temps à savourer entre nous sur le terrain, car ensuite la Coupe du Monde appartiendrait à la France entière. J'ai eu l'impression de gravir 300 marches, alors qu'il devait y en avoir une dizaine ! Et on montait, on montait, c'était la folie !

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Essayons un peu de reconstituer ce moment (on lui tend le trophée).

Esthétiquement, elle est jolie. On ne se lasse pas de la toucher !

Verriez-vous ce trophée dans un musée ?

Plutôt sur une place de Paris, ou d'une autre capitale, où les gens puissent le toucher. Pas dans un musée, il faut que ce soit public, car il appartient à tout le monde.